« Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1). Face à sa fin, le Christ ne s’est pas dérobé. Il est vrai qu’il a ressenti l’angoisse à Gethsémani. Mais quelle était donc cette angoisse ? Le Christ ne redoutait peut-être pas tant de mourir, que de voir les hommes refuser la vie. Voilà qui peut nous rejoindre, alors que se creuse le débat sur l’euthanasie.
Nous n’avons pas forcément tous la même peur de mourir. Mais la peur de souffrir est largement partagée. Plus encore peut-être, nous avons peur pour nos proches : peur de les voir souffrir, de les voir mourir cruellement.
Que répondre, alors, à un malade, quand il demande qu’on l’aide à partir ? Ceux qui sont engagés dans les soins palliatifs le disent : derrière l’appel à être délivré, il y a un appel à être aimé. Quand les personnes en fin de vie sont soulagées (ce qui est possible aujourd’hui), écoutées, entourées, elles ne demandent plus à être euthanasiées.
On peut, bien sûr, présenter le problème autrement. On peut jouer sur l’émotion, les cas exceptionnels et très exceptionnels, qui justifieraient une loi « de liberté ». On peut lisser le langage, masquer la réalité qui consiste à tuer, invoquer hypocritement la « dignité » de ceux dont on se débarrasse, affecter de laisser de côté les énormes enjeux financiers. On peut, enfin, parler en technocrate maîtrisant le bien et le moindre mal, et certifier que le problème sera traité par des experts responsables, avec des procédures éthiques imparables. Hélas, tous les exemples étrangers montrent le contraire.
Le débat sur l’euthanasie nous demande d’aller plus loin que notre peur très humaine de la souffrance et de la mort. Il pose la question de la société que nous fabriquons. Comment des frères et sœurs se parleront-ils encore, s’ils se sont déchirés pour ou contre la mort de leurs parents ? Qui convaincra un criminel qu’il était immoral d'assassiner un inconnu, s’il est légal de supprimer ses proches ? Qui retiendra des hôpitaux, des maisons de santé, des familles de faire ainsi des économies substantielles, toujours au nom du « respect » ? La tentation est déjà très forte…
« On achève bien les chevaux » dit-on. Mais les hommes ne sont pas de simples chevaux. Nous sommes des personnes, faites pour recevoir l'amour et le donner, pardonner, nous abandonner jusqu’au bout. Pour tous, à tout prix, doit être défendue la liberté d’aimer, d’être aimé jusqu’au bout.
Père Guillaume Lerclerc.