"PÈRE", LE DIEU PERSONNEL, TOUJOURS ACCESSIBLE 14 janvier 2018
« Et moi, dans mon trouble, je disais : « Je ne suis plus devant tes yeux. »,
Pourtant, tu écoutais ma prière quand je criais vers toi. » (Ps 30,23)
Notre vie tout entière est marquée par l’expérience du sacré : la naissance d’un enfant, l’irruption d’un grand amour dans notre vie, l’observation de la nature et des forces de vie en elle, ou simplement de sa beauté stupéfiante, le mystère que constitue ma propre personne pour elle-même et l’exploration jamais finie de son intériorité… Tout cela nous semble être enveloppé ou porté par une réalité plus grande, réalité mystérieuse, qui tout en demeurant cachée se rend perceptible et nous devient familière. C’est le mystère du sacré, du divin. Dans toutes ces expériences cependant, ce sacré et ce divin peuvent revêtir une forme totalement impersonnelle.
Et cela ne va pas de soi de passer de l’indéfini, de l’indétermination de la réalité sacrée à la précision d’un visage divin. La plupart d’entre nous savent quelle peine a notre prière à trouver un point d’appui devant une réalité divine qui nous semble parfois bien muette, indéterminé et insaisissable. Il ne va pas de soi pour nous de passer du simple sentiment d’une chose à la rencontre d’une personne à qui l’on peut s’adresser, de passer d’une simple impression intérieure à la contemplation d’un visage, de passer de l’impression d’une force qui nous toucherait à la reconnaissance d’un cœur auquel nous pouvons aller. Il ne va pas de soi que notre regard intérieur, les paroles de notre esprit, les mouvements de notre cœur parviennent jusqu’à Quelqu’un et se sentent entendus et accueillis, ce qui en soi constituerait déjà une réponse.
Pour que l’on puisse s’adresser à quelqu’un, il faut d’abord que ce quelqu’un nous y autorise, que ce quelqu’un s’ouvre à moi, en remarquant ma présence, en prêtant attention à ma personne et en me prenant au sérieux. Autrement, ma parole et ma pensée n’ont aucune prise sur lui et ne parviennent jamais jusqu’à lui.
Voilà donc la première et grande grâce du Notre Père. Dieu nous fait lui-même le don d’être pour nous une présence personnelle. Lui le premier nous donne cela et nous demande de nous adresser directement à lui, parce qu’il est Quelqu’un, Quelqu’un de présent. En fait, c’est Lui le premier qui s’est intéressé à moi, a fait de moi quelqu’un, une présence, un être qui compte parce que Quelqu’un lui parle, s’adresse à lui ; Il a fait de moi un être dont l’essence est d’être tourné vers Lui. Dieu a fait de moi quelqu’un. Ce quelqu’un je le suis parce que Dieu m’interpelle, et tout mon être devient personnel, lorsque je réponds à l’appel de me tourner vers lui, pour parvenir à un dialogue, à un face à face de la parole.
Ainsi pour m’adresser à Dieu, il ne s’agit pas d’aller à tel endroit ou de procéder de telle façon, ou de prier à tel moment. Le Notre Père nous dit : parle-lui directement et toujours ta prière lui parviendra, puisqu’Il est quelqu’un, puisqu’il n’est pas vague ou indéterminé.
A toute heure de ta journée, en tout lieu où tu te trouves, dans tout événement ou expérience de ta vie, quelles que soient les choses qui accaparent ton cœur et ton existence, tu peux t’adresser à Dieu et ta prière, ton appel rencontrera Dieu. Cela peut-être peut nous sembler évident. Cela ne l’est pas. C’est quelque chose de très grand : qu’en tout lieu, tout temps, à partir de tout ce qui advient ou existe, il y ait un chemin vers Dieu qui soit toujours ouvert, et que notre appel, lancé avec une intention juste, atteigne toujours son but. Cela est très grand. Celui qui dans la prière fait cette expérience du visage de Dieu, de son caractère personnel et toujours accessible, celui qui sent que sa parole est accueillie et touche au but, celui qui éprouve cela doit en être très reconnaissant et garder ce sentiment comme un vrai trésor et une grande grâce. Tout l’accroissement de notre vie de grâce et de notre prière tiendra à l’approfondissement de cette expérience, et se réalisera dans le fait que cet appel du face à face avec Dieu deviendra de plus en plus précis, de plus en plus riche, proche et profond.
Qu’en disant « Notre Père » nous puissions chaque jour nous ouvrir à cette grâce du Dieu personnel, toujours accessible, qui écoute nos prières, et que nous en vivions davantage en acceptant de tourner aussi nos visages et nos vies vers lui.
« Et moi, dans mon trouble, je disais : « Je ne suis plus devant tes yeux. »,
Pourtant, tu écoutais ma prière quand je criais vers toi. » (Ps 30,23)
Notre vie tout entière est marquée par l’expérience du sacré : la naissance d’un enfant, l’irruption d’un grand amour dans notre vie, l’observation de la nature et des forces de vie en elle, ou simplement de sa beauté stupéfiante, le mystère que constitue ma propre personne pour elle-même et l’exploration jamais finie de son intériorité… Tout cela nous semble être enveloppé ou porté par une réalité plus grande, réalité mystérieuse, qui tout en demeurant cachée se rend perceptible et nous devient familière. C’est le mystère du sacré, du divin. Dans toutes ces expériences cependant, ce sacré et ce divin peuvent revêtir une forme totalement impersonnelle.
Et cela ne va pas de soi de passer de l’indéfini, de l’indétermination de la réalité sacrée à la précision d’un visage divin. La plupart d’entre nous savent quelle peine a notre prière à trouver un point d’appui devant une réalité divine qui nous semble parfois bien muette, indéterminé et insaisissable. Il ne va pas de soi pour nous de passer du simple sentiment d’une chose à la rencontre d’une personne à qui l’on peut s’adresser, de passer d’une simple impression intérieure à la contemplation d’un visage, de passer de l’impression d’une force qui nous toucherait à la reconnaissance d’un cœur auquel nous pouvons aller. Il ne va pas de soi que notre regard intérieur, les paroles de notre esprit, les mouvements de notre cœur parviennent jusqu’à Quelqu’un et se sentent entendus et accueillis, ce qui en soi constituerait déjà une réponse.
Pour que l’on puisse s’adresser à quelqu’un, il faut d’abord que ce quelqu’un nous y autorise, que ce quelqu’un s’ouvre à moi, en remarquant ma présence, en prêtant attention à ma personne et en me prenant au sérieux. Autrement, ma parole et ma pensée n’ont aucune prise sur lui et ne parviennent jamais jusqu’à lui.
Voilà donc la première et grande grâce du Notre Père. Dieu nous fait lui-même le don d’être pour nous une présence personnelle. Lui le premier nous donne cela et nous demande de nous adresser directement à lui, parce qu’il est Quelqu’un, Quelqu’un de présent. En fait, c’est Lui le premier qui s’est intéressé à moi, a fait de moi quelqu’un, une présence, un être qui compte parce que Quelqu’un lui parle, s’adresse à lui ; Il a fait de moi un être dont l’essence est d’être tourné vers Lui. Dieu a fait de moi quelqu’un. Ce quelqu’un je le suis parce que Dieu m’interpelle, et tout mon être devient personnel, lorsque je réponds à l’appel de me tourner vers lui, pour parvenir à un dialogue, à un face à face de la parole.
Ainsi pour m’adresser à Dieu, il ne s’agit pas d’aller à tel endroit ou de procéder de telle façon, ou de prier à tel moment. Le Notre Père nous dit : parle-lui directement et toujours ta prière lui parviendra, puisqu’Il est quelqu’un, puisqu’il n’est pas vague ou indéterminé.
A toute heure de ta journée, en tout lieu où tu te trouves, dans tout événement ou expérience de ta vie, quelles que soient les choses qui accaparent ton cœur et ton existence, tu peux t’adresser à Dieu et ta prière, ton appel rencontrera Dieu. Cela peut-être peut nous sembler évident. Cela ne l’est pas. C’est quelque chose de très grand : qu’en tout lieu, tout temps, à partir de tout ce qui advient ou existe, il y ait un chemin vers Dieu qui soit toujours ouvert, et que notre appel, lancé avec une intention juste, atteigne toujours son but. Cela est très grand. Celui qui dans la prière fait cette expérience du visage de Dieu, de son caractère personnel et toujours accessible, celui qui sent que sa parole est accueillie et touche au but, celui qui éprouve cela doit en être très reconnaissant et garder ce sentiment comme un vrai trésor et une grande grâce. Tout l’accroissement de notre vie de grâce et de notre prière tiendra à l’approfondissement de cette expérience, et se réalisera dans le fait que cet appel du face à face avec Dieu deviendra de plus en plus précis, de plus en plus riche, proche et profond.
Qu’en disant « Notre Père » nous puissions chaque jour nous ouvrir à cette grâce du Dieu personnel, toujours accessible, qui écoute nos prières, et que nous en vivions davantage en acceptant de tourner aussi nos visages et nos vies vers lui.
"PÈRE", LA POSSIBILITÉ DES FAUX DIEUX 21 janvier 2018
« Les idoles des nations : or et argent, ouvrage de mains humaines. Elles ont une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas. », Ps 134, 15-16
Il n’existe donc aucun événement, qui, par sa nature, nous ouvrirait ou nous fermerait l’accès à Dieu. Partout et toujours, un chemin conduit à Dieu. Mais, alors même que nous pensons avoir commencé à emprunter ce chemin en disant « Notre Père » ou que nous l’avons seulement entrevu, sommes-nous certain de l’avoir vraiment suivi jusqu’au bout ?
L’histoire des hommes nous montre une multitude d’exemples, de personnes douées d’une très grande piété, d’une âme très noble et d’une profonde intelligence, qui étaient persuadés que Dieu, ou plutôt le divin, existait sous des formes multiples, et qui ont ainsi emprunté d’autres chemins. Nous pouvons penser par exemple au peuple grec, plus doué et intelligent que beaucoup d’autres peuples, plus pieux aussi, et qui adressait ses prières à Zeus, Apollon ou Athéna. Il serait très présomptueux de penser que nous leur sommes supérieurement intelligents et regarder avec mépris cette piété en nous étonnant qu’une telle aberration ait pu exister.
En réalité, cet exemple nous montre qu’il y a dans la nature des choses et dans le sentiment religieux de tout homme, quelque chose qui rend tout à fait possible de rencontrer des dieux ou du divin. Certains ont pensé ce divin comme une réalité, un tout indéterminé, un élément mystérieux qui coule dans les choses, un fond mystérieux d’où tout provient, ils étaient panthéistes. D’autres ont pensé le divin comme très lointain et éloigné du monde, ne pouvant être honoré qu’avec un infini recul. Il y a ainsi dans la nature des choses, à la racine des choses et dans les profondeurs de l’âme, quelque chose qui nous attire vers cette façon de penser et d’entrer dans la piété. Cette possibilité qui se rencontre en tout homme et s’est exprimée dans de multiples cultes, ce mouvement possible du cœur de l’homme qui l’engage sur de fausses routes, a bien souvent été suivi par de grands hommes et a rencontré des formes très hautes et très nobles de pensée. Ces possibilités de fausser la réalité vivante de Dieu ne viennent pas seulement d’un pur hasard ou d’une bêtise de l’homme, mais du fond des choses elles-mêmes et de la nature de l’homme.
Ainsi, chacun de nous est exposé à ce risque de déformer, de contrefaire l’image de Dieu et de nous égarer dans notre piété sur le chemin qui mène à Dieu, même en appelant Dieu « Notre Père. »
« Les idoles des nations : or et argent, ouvrage de mains humaines. Elles ont une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas. », Ps 134, 15-16
Il n’existe donc aucun événement, qui, par sa nature, nous ouvrirait ou nous fermerait l’accès à Dieu. Partout et toujours, un chemin conduit à Dieu. Mais, alors même que nous pensons avoir commencé à emprunter ce chemin en disant « Notre Père » ou que nous l’avons seulement entrevu, sommes-nous certain de l’avoir vraiment suivi jusqu’au bout ?
L’histoire des hommes nous montre une multitude d’exemples, de personnes douées d’une très grande piété, d’une âme très noble et d’une profonde intelligence, qui étaient persuadés que Dieu, ou plutôt le divin, existait sous des formes multiples, et qui ont ainsi emprunté d’autres chemins. Nous pouvons penser par exemple au peuple grec, plus doué et intelligent que beaucoup d’autres peuples, plus pieux aussi, et qui adressait ses prières à Zeus, Apollon ou Athéna. Il serait très présomptueux de penser que nous leur sommes supérieurement intelligents et regarder avec mépris cette piété en nous étonnant qu’une telle aberration ait pu exister.
En réalité, cet exemple nous montre qu’il y a dans la nature des choses et dans le sentiment religieux de tout homme, quelque chose qui rend tout à fait possible de rencontrer des dieux ou du divin. Certains ont pensé ce divin comme une réalité, un tout indéterminé, un élément mystérieux qui coule dans les choses, un fond mystérieux d’où tout provient, ils étaient panthéistes. D’autres ont pensé le divin comme très lointain et éloigné du monde, ne pouvant être honoré qu’avec un infini recul. Il y a ainsi dans la nature des choses, à la racine des choses et dans les profondeurs de l’âme, quelque chose qui nous attire vers cette façon de penser et d’entrer dans la piété. Cette possibilité qui se rencontre en tout homme et s’est exprimée dans de multiples cultes, ce mouvement possible du cœur de l’homme qui l’engage sur de fausses routes, a bien souvent été suivi par de grands hommes et a rencontré des formes très hautes et très nobles de pensée. Ces possibilités de fausser la réalité vivante de Dieu ne viennent pas seulement d’un pur hasard ou d’une bêtise de l’homme, mais du fond des choses elles-mêmes et de la nature de l’homme.
Ainsi, chacun de nous est exposé à ce risque de déformer, de contrefaire l’image de Dieu et de nous égarer dans notre piété sur le chemin qui mène à Dieu, même en appelant Dieu « Notre Père. »
"PÈRE", L'ADORATION DU VRAI DIEU : PÈRE « QUI ES AUX CIEUX » 28 janvier 2018
« Notre Dieu, il est au ciel ; tout ce qu’il veut, il le fait. » (Ps 113b,3)
Oui, Dieu est Dieu, et ainsi il est vraiment partout, à tout moment, en toute chose, dans toute situation et événement. Mais Dieu est « aux cieux. » Dieu est aux cieux, car il a beau être partout, son être est unique. Les cieux, en effet, désignent le mode unique selon lequel Dieu est avec lui-même. Le ciel dit son inaccessibilité, la liberté dans laquelle il est seul, pleinement avec lui-même comme Celui qui est. Les cieux, c’est cette vie sainte, pure, paisible, belle, intime, bienheureuse.
Ce n’est pas là une simple vision esthétique, c’est ce à quoi aspirent notre cœur et notre âme, ce mode d’être divin qui diffère du nôtre, cette demeure éternelle qui est pourtant notre patrie. Dire « Notre Père qui es au cieux » signifie donc que, certes nous devons partir de ce que nous sommes, de tout lieu, tout temps, toute situation, pour nous adresser à Dieu et le toucher, mais lorsque nous nous adressons à Dieu nous devons accepter aussi sa liberté, son mode d’être unique, accepter qu’il n’est pas semblable aux choses, aux temps, à nous-mêmes. Nous ne lui prescrivons pas ce qu’il doit être mais nous consentons à ce qu’Il soit lui-même. Nous le voulons selon lui-même, non pas selon nous. Nous acceptons par avance qu’Il ne soit pas selon notre attente, mais demeure mystérieux et inconnu, selon lui-même, car c’est seulement en Lui, tel qu’Il est et non pas tel que nous le voulons, que notre cœur peut trouver le repos.
Nous ne voulons pas d’un Dieu tel que nous pouvons nous le représenter à partir de la terre, un Dieu identifié à l’homme, au monde. Nous voulons le Dieu qui a dit : « Je suis qui je suis ». Nous voulons trouver le vrai Dieu, Lui seul.
Cette formule « qui es aux cieux » ou « céleste » – chère à Matthieu qui l’utilise pas moins de quinze fois dans le sermon sur la montagne au cœur duquel on trouve le Notre Père – unit le respect pour la transcendance de Dieu et le sens de l’intimité. Elle ne dit donc pas un lieu différent ou ailleurs mais un être différent. C’est une manière d’opposer le Père céleste aux pères de la terre (Mt 7,9-11).
La bonté apparaît comme le trait distinctif du Père céleste, bonté qui fonde la confiance par laquelle nous pouvons le prier. Dieu est le Père bienveillant qui fait luire son soleil sur bons et méchants (Mt 5,45), celui dont la perfection doit servir de norme à la conduite de ses enfants (Mt 5,48). Il voit dans le secret (Mt 6,4.6,18), est attentif aux besoins des moindres de ses créatures (Mt 6,26sv).
Ce Père bon auquel il nous faut ressembler pour être fils est Celui qui est aux cieux. Ainsi même en sa bonté qui le rend proche, il nous est impossible de mettre la main sur lui. Au contraire, la mention des cieux nous renvoie bien plutôt à l’attitude d’adoration et de louange qui s’exprime dans la grandiose liturgie du Ciel. Jésus lui-même nous parle des anges qui se tiennent sans cesse en présence de son Père qui est aux cieux (Mt 18,10).
Soyons donc vigilants à ne pas mettre la main sur Dieu, qui alors deviendrait une idole. Soyons vigilants à accepter que Dieu se donne comme Il le veut et non comme nous le voudrions, même si cela est inconfortable pour nous et nos désirs, afin que notre prière nous ouvre au vrai Dieu. Soyons vigilants à ne pas nous préserver de cet inconfort, à ne pas nous protéger de Dieu et de ce que la rencontre avec le vrai Dieu pourrait bouleverser dans nos vies et nos désirs, en projetant sur lui notre propre image, de sorte que dans la prière nous finirions par ne plus parler qu’à nous-mêmes. Nous chrétiens, n’avons pas peur de faire entrer Dieu dans notre vie, n’avons pas peur de l’inquiétude que nous provoque son absence et son mystère.
Nous ne craignons pas cela parce que Notre Dieu a voulu que nous l’appelions Notre Père. En priant le Père des cieux, nous reconnaissons aussi où se trouve la paternité véritable, où se trouve la source de notre vie. Nous comprenons ainsi que notre demeure véritable se trouve dans les cieux et c’est vers elle que nous tournons nos cœurs, car c’est en elle que nous sommes vraiment fils.
« Notre Dieu, il est au ciel ; tout ce qu’il veut, il le fait. » (Ps 113b,3)
Oui, Dieu est Dieu, et ainsi il est vraiment partout, à tout moment, en toute chose, dans toute situation et événement. Mais Dieu est « aux cieux. » Dieu est aux cieux, car il a beau être partout, son être est unique. Les cieux, en effet, désignent le mode unique selon lequel Dieu est avec lui-même. Le ciel dit son inaccessibilité, la liberté dans laquelle il est seul, pleinement avec lui-même comme Celui qui est. Les cieux, c’est cette vie sainte, pure, paisible, belle, intime, bienheureuse.
Ce n’est pas là une simple vision esthétique, c’est ce à quoi aspirent notre cœur et notre âme, ce mode d’être divin qui diffère du nôtre, cette demeure éternelle qui est pourtant notre patrie. Dire « Notre Père qui es au cieux » signifie donc que, certes nous devons partir de ce que nous sommes, de tout lieu, tout temps, toute situation, pour nous adresser à Dieu et le toucher, mais lorsque nous nous adressons à Dieu nous devons accepter aussi sa liberté, son mode d’être unique, accepter qu’il n’est pas semblable aux choses, aux temps, à nous-mêmes. Nous ne lui prescrivons pas ce qu’il doit être mais nous consentons à ce qu’Il soit lui-même. Nous le voulons selon lui-même, non pas selon nous. Nous acceptons par avance qu’Il ne soit pas selon notre attente, mais demeure mystérieux et inconnu, selon lui-même, car c’est seulement en Lui, tel qu’Il est et non pas tel que nous le voulons, que notre cœur peut trouver le repos.
Nous ne voulons pas d’un Dieu tel que nous pouvons nous le représenter à partir de la terre, un Dieu identifié à l’homme, au monde. Nous voulons le Dieu qui a dit : « Je suis qui je suis ». Nous voulons trouver le vrai Dieu, Lui seul.
Cette formule « qui es aux cieux » ou « céleste » – chère à Matthieu qui l’utilise pas moins de quinze fois dans le sermon sur la montagne au cœur duquel on trouve le Notre Père – unit le respect pour la transcendance de Dieu et le sens de l’intimité. Elle ne dit donc pas un lieu différent ou ailleurs mais un être différent. C’est une manière d’opposer le Père céleste aux pères de la terre (Mt 7,9-11).
La bonté apparaît comme le trait distinctif du Père céleste, bonté qui fonde la confiance par laquelle nous pouvons le prier. Dieu est le Père bienveillant qui fait luire son soleil sur bons et méchants (Mt 5,45), celui dont la perfection doit servir de norme à la conduite de ses enfants (Mt 5,48). Il voit dans le secret (Mt 6,4.6,18), est attentif aux besoins des moindres de ses créatures (Mt 6,26sv).
Ce Père bon auquel il nous faut ressembler pour être fils est Celui qui est aux cieux. Ainsi même en sa bonté qui le rend proche, il nous est impossible de mettre la main sur lui. Au contraire, la mention des cieux nous renvoie bien plutôt à l’attitude d’adoration et de louange qui s’exprime dans la grandiose liturgie du Ciel. Jésus lui-même nous parle des anges qui se tiennent sans cesse en présence de son Père qui est aux cieux (Mt 18,10).
Soyons donc vigilants à ne pas mettre la main sur Dieu, qui alors deviendrait une idole. Soyons vigilants à accepter que Dieu se donne comme Il le veut et non comme nous le voudrions, même si cela est inconfortable pour nous et nos désirs, afin que notre prière nous ouvre au vrai Dieu. Soyons vigilants à ne pas nous préserver de cet inconfort, à ne pas nous protéger de Dieu et de ce que la rencontre avec le vrai Dieu pourrait bouleverser dans nos vies et nos désirs, en projetant sur lui notre propre image, de sorte que dans la prière nous finirions par ne plus parler qu’à nous-mêmes. Nous chrétiens, n’avons pas peur de faire entrer Dieu dans notre vie, n’avons pas peur de l’inquiétude que nous provoque son absence et son mystère.
Nous ne craignons pas cela parce que Notre Dieu a voulu que nous l’appelions Notre Père. En priant le Père des cieux, nous reconnaissons aussi où se trouve la paternité véritable, où se trouve la source de notre vie. Nous comprenons ainsi que notre demeure véritable se trouve dans les cieux et c’est vers elle que nous tournons nos cœurs, car c’est en elle que nous sommes vraiment fils.
"PÈRE", L'ADORATION DU VRAI DIEU : LE PÈRE DE JÉSUS-CHRIST 4 février 2018
«Béni soit Dieu le Père de notre Seigneur Jésus-Christ. » (2 Co 1,3 / Ep 1,3/ 1 P 1,3)
La prière du Notre Père nous montre le chemin vers le vrai Dieu à condition de bien la prier, de la prier comme elle nous a été enseignée. Si tu veux dans ta prière parvenir à Dieu, au Père, tu dois Le chercher là où est Celui qui t’enseigne à prier avec ces paroles. Tu ne peux t’approcher de Dieu et aller vers Lui qu’en t’approchant du Christ et en allant vers Dieu en même temps que Lui. Car Dieu est le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître. » (Jn 1,18). Pour trouver Dieu, le mouvement de notre cœur et de notre Esprit doit penser Dieu tel que Jésus le pense quand il parle de Dieu. Il faut s’adresser à Celui auquel Jésus s’adresse quand Il parle à son Père. « Personne ne va vers le Père sans passer par moi ». (Jn 14,6) Qui est Dieu ? Dieu est Celui à qui parle Jésus quand Il parle à Son Père. Pour trouver le Père, il faut donc entendre et écouter Jésus prier, et voir Jésus prier. « Celui qui m’a vu, a vu le Père. » (Jn 14,9)
N’est-ce pas là une contrainte imposée à notre sentiment religieux naturel ? Pourquoi n’ai-je pas le droit de chercher et de trouver Dieu, dans la forme qui me convient, selon la voie qui m’est adaptée, selon ce que les mouvements de mon cœur, de mon âme me disent, finalement, selon ce que ma nature semble vouloir ? Tout simplement, parce que tu peux t’égarer, parce tu peux rencontrer une fausse image de Dieu, tu peux te laisser prendre par une simple glorification de toi-même ou par les embûches dressées par l’ennemi. Pour aller à Dieu, passe par Jésus. Pour connaître le vrai Père, laisse Jésus t’enseigner qui est le Père, et comment il est Père.
Nous devons veiller à ce que lorsque nous parlons du Père, il s’agisse de la vraie paternité. Toutes les religions ont elles aussi un Père céleste : Zeus pour les grecs, Jupiter pour les romains, Wotan pour les germains, un Père qui est une puissance qui trône et règne et gouverne paternellement toute chose, en embrassant le monde. Or cela n’a rien à voir avec le Père de Jésus-Christ. Ce que pense le Christ est tout autre quand il parle du Père des cieux. Il ne pense pas à une simple bonté toute-puissante embrassant le monde, une puissance qui engendre et agit d’en-haut. Le Père de Jésus-Christ, le Dieu tout-puissant qui a fait le ciel et la terre et qui règne sur eux, est Celui auquel il a plu dans le dessein de son amour de faire des hommes ses enfants : non pas par nature, par essence, par nécessité, mais par une alliance conclue dans son Fils suivant son projet initial par lequel il avait mis en chacun son image. « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ ! Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ. Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour. Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ. » (Ep 1,3-5)
Ainsi, je ne dis pas à Dieu "Père" parce que je me sens uni à un tout, ou parce que j’éprouve le sentiment indéterminé d’être embrassé dans un ensemble, mais à cause des mots que le Christ me laisse dans cette prière, mots qui expriment ce que le Père a réalisé en nous par le Christ. Je dois me laisser surprendre par cela, me demander comment mon Créateur s’adresse à moi en me disant « mon fils ». Il faut lui demander de nous expliquer, de nous aider à comprendre intérieurement, de nous enseigner comment. A cause de ce qu’il a accompli en nous : à cause du don de la filiation fait au baptême : non par nature, mais par grâce. Je dois en être reconnaissant et m’en émerveiller. Il ne faut pas que le mystère de cette paternité divine soit confondu avec d’autres. Il faut que j’apprenne à dire Père selon le cœur de Jésus, plutôt que de laisser ce mystère extraordinaire, intime, ce mystère de grâce, se perdre et se fausser dans l’imprécision. Il nous est si facile de tomber dans nos travers, de nous représenter le Père céleste avec le vague sentiment d’une protection tutélaire. Le Notre Père nous met en garde. Ce n’est pas en raison des forces de la nature mais à cause des dons de la grâce et de la foi que je suis fils. « Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. » Jn 1,12. Or nous le savons bien : la foi n’est pas qu’une certitude, bien possédée, mais elle est aussi un exercice. Il me faut donc m’exercer, apprendre et réapprendre à dire "Père" avec et comme le Christ, selon ce qu’il dit lui-même du Père dans ses paraboles et discours, selon la manière dont il vit lui-même comme Fils. Il nous faut grandir dans notre dignité de fils et fille de Dieu, jusqu’à la maturité de celui qui adhère pleinement à la volonté du Père : « non pas ma volonté mais la tienne ». Il s’agit du sérieux, de la précision de notre foi, qui doit ne pas succomber aux vagues sentiments lyriques.
Peut-être que passer par la voie du Christ peut nous sembler étroit et contraignant mais c’est la seule condition pour demeurer vraiment libre, rencontrer le vrai Dieu et ne pas succomber à l’esclavage de nos propres idoles.
«Béni soit Dieu le Père de notre Seigneur Jésus-Christ. » (2 Co 1,3 / Ep 1,3/ 1 P 1,3)
La prière du Notre Père nous montre le chemin vers le vrai Dieu à condition de bien la prier, de la prier comme elle nous a été enseignée. Si tu veux dans ta prière parvenir à Dieu, au Père, tu dois Le chercher là où est Celui qui t’enseigne à prier avec ces paroles. Tu ne peux t’approcher de Dieu et aller vers Lui qu’en t’approchant du Christ et en allant vers Dieu en même temps que Lui. Car Dieu est le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître. » (Jn 1,18). Pour trouver Dieu, le mouvement de notre cœur et de notre Esprit doit penser Dieu tel que Jésus le pense quand il parle de Dieu. Il faut s’adresser à Celui auquel Jésus s’adresse quand Il parle à son Père. « Personne ne va vers le Père sans passer par moi ». (Jn 14,6) Qui est Dieu ? Dieu est Celui à qui parle Jésus quand Il parle à Son Père. Pour trouver le Père, il faut donc entendre et écouter Jésus prier, et voir Jésus prier. « Celui qui m’a vu, a vu le Père. » (Jn 14,9)
N’est-ce pas là une contrainte imposée à notre sentiment religieux naturel ? Pourquoi n’ai-je pas le droit de chercher et de trouver Dieu, dans la forme qui me convient, selon la voie qui m’est adaptée, selon ce que les mouvements de mon cœur, de mon âme me disent, finalement, selon ce que ma nature semble vouloir ? Tout simplement, parce que tu peux t’égarer, parce tu peux rencontrer une fausse image de Dieu, tu peux te laisser prendre par une simple glorification de toi-même ou par les embûches dressées par l’ennemi. Pour aller à Dieu, passe par Jésus. Pour connaître le vrai Père, laisse Jésus t’enseigner qui est le Père, et comment il est Père.
Nous devons veiller à ce que lorsque nous parlons du Père, il s’agisse de la vraie paternité. Toutes les religions ont elles aussi un Père céleste : Zeus pour les grecs, Jupiter pour les romains, Wotan pour les germains, un Père qui est une puissance qui trône et règne et gouverne paternellement toute chose, en embrassant le monde. Or cela n’a rien à voir avec le Père de Jésus-Christ. Ce que pense le Christ est tout autre quand il parle du Père des cieux. Il ne pense pas à une simple bonté toute-puissante embrassant le monde, une puissance qui engendre et agit d’en-haut. Le Père de Jésus-Christ, le Dieu tout-puissant qui a fait le ciel et la terre et qui règne sur eux, est Celui auquel il a plu dans le dessein de son amour de faire des hommes ses enfants : non pas par nature, par essence, par nécessité, mais par une alliance conclue dans son Fils suivant son projet initial par lequel il avait mis en chacun son image. « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ ! Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ. Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour. Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ. » (Ep 1,3-5)
Ainsi, je ne dis pas à Dieu "Père" parce que je me sens uni à un tout, ou parce que j’éprouve le sentiment indéterminé d’être embrassé dans un ensemble, mais à cause des mots que le Christ me laisse dans cette prière, mots qui expriment ce que le Père a réalisé en nous par le Christ. Je dois me laisser surprendre par cela, me demander comment mon Créateur s’adresse à moi en me disant « mon fils ». Il faut lui demander de nous expliquer, de nous aider à comprendre intérieurement, de nous enseigner comment. A cause de ce qu’il a accompli en nous : à cause du don de la filiation fait au baptême : non par nature, mais par grâce. Je dois en être reconnaissant et m’en émerveiller. Il ne faut pas que le mystère de cette paternité divine soit confondu avec d’autres. Il faut que j’apprenne à dire Père selon le cœur de Jésus, plutôt que de laisser ce mystère extraordinaire, intime, ce mystère de grâce, se perdre et se fausser dans l’imprécision. Il nous est si facile de tomber dans nos travers, de nous représenter le Père céleste avec le vague sentiment d’une protection tutélaire. Le Notre Père nous met en garde. Ce n’est pas en raison des forces de la nature mais à cause des dons de la grâce et de la foi que je suis fils. « Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. » Jn 1,12. Or nous le savons bien : la foi n’est pas qu’une certitude, bien possédée, mais elle est aussi un exercice. Il me faut donc m’exercer, apprendre et réapprendre à dire "Père" avec et comme le Christ, selon ce qu’il dit lui-même du Père dans ses paraboles et discours, selon la manière dont il vit lui-même comme Fils. Il nous faut grandir dans notre dignité de fils et fille de Dieu, jusqu’à la maturité de celui qui adhère pleinement à la volonté du Père : « non pas ma volonté mais la tienne ». Il s’agit du sérieux, de la précision de notre foi, qui doit ne pas succomber aux vagues sentiments lyriques.
Peut-être que passer par la voie du Christ peut nous sembler étroit et contraignant mais c’est la seule condition pour demeurer vraiment libre, rencontrer le vrai Dieu et ne pas succomber à l’esclavage de nos propres idoles.
"ABBA PÈRE", LE DON DE DIEU, LA PRIÈRE DES FILS 11 février 2018
«Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. » (Jn 1,12)
Nous venons de comprendre que pour dire vraiment "Père", pour nous adresser au seul et vrai Dieu, il nous faut dire "Père" avec et comme le Christ. Cette manière de dire et de faire comme le Christ nous révèle quelque chose de profond sur la prière du Notre Père et sur nous-mêmes. Nous pouvons dire "Père", non seulement parce que le Fils nous a révélé ce Père, mais parce qu’il s’est fait notre frère et que par son action rédemptrice nous sommes devenus véritablement des fils et filles de Dieu.
Malgré les avertissements précédents qui nous rappelaient que nous sommes fils par grâce et non par nature, il n’est cependant pas faux de dire que Dieu est notre Père parce qu’il nous a créés et que nous lui appartenons. De fait, Dieu a créé chaque individu, a infusé en chacun l’âme qu’Il a créée. Chacun est ainsi créé à son image et Dieu connaît chacun personnellement.
En même temps, l’image véritable du Père étant le Fils unique de Dieu, le seul qui est de la même substance que le Père, celui à partir duquel Dieu a créé tout homme, nous comprenons qu’être vraiment fils, signifie bien plus qu’avoir été créé par Dieu dans le Christ à son image. Pouvoir dire Père au sens le plus véritable, être fils au sens plein signifie vivre la réalité de Jésus, entrer dans la communion avec Lui. Être fils, n’est pas un simple état, mais c’est une réalité dynamique : il s’agit de devenir davantage fils en participant davantage à l’être même du Christ, en grandissant dans une communion intime et de plus en plus profonde avec Lui. In fine, nous qui ne sommes que des créatures, nous ne pouvons dire Père, sans mentir, sans nous payer de mots, nous ne pouvons avoir l’audace d’appeler en vérité Dieu Notre Père, que parce que l’intime de notre humanité est animé par la puissance du Très-Haut. La prière du Notre Père nous révèle que ce que nous avons reçu - l’Esprit-Saint, l’Esprit du Christ, Dieu lui-même, qui demeure en nous - fait de nous, réellement par grâce des fils et des filles.
En réfléchissant souvent un peu vite sur la prière du Notre Père, on compte sept demandes : depuis « que ton nom soit sanctifié » jusqu’à « délivre-nous du mal ». Mais en fait, on oublie ce qui fait le cœur de cette prière et qui est aussi une demande, la plus importante : le don du Père.
Essayons de comprendre cela : dans le Notre Père, Jésus ne nous fait pas seulement connaître Dieu en nous livrant uniquement son identité de Père, mais Il nous ouvre à la relation avec Lui, il nous ouvre à sa propre relation de Fils unique avec le Père, de sorte que nous connaissons le Père à l’intérieur de la relation de Jésus et de son Père. Le mystère insondable, que nul ne peut entrevoir, ni connaître, pas même les anges, celui de la relation personnelle du Fils vers le Père, voici que l’Esprit-Saint, l’Esprit commun du Fils et du Père nous y fait participer. Cette prière est donc liée au don de l’Esprit-Saint que nous avons reçu. L’Esprit-Saint, nous faisant entrer dans cette relation, nous fait connaître et aimer le Père, nous fait communier avec Lui.
Le Notre Père nous fait apprendre à partir de Jésus, en Jésus, qui est le Père et ce que signifie être fils. Cette prière du Notre Père ne commence pas seulement par les mots « Notre Père », comme si cela était une simple adresse, comme si nous avertissions Dieu que nous voulions lui parler, pour qu’il se tourne vers nous et nous écoute. Non dans cette prière du Notre Père, en commençant par dire « Notre Père », nous comprenons que, dans toute prière, le don de Dieu n’est pas ceci ou cela, mais que ce qui importe c’est que Dieu lui-même se donne à nous. Le don de Dieu, c’est Dieu lui-même. Les premiers mots de notre prière nous font comprendre cela. Nous comprenons que ce dont nous avons le plus réellement besoin et qui nous fait le plus défaut : c’est Dieu lui-même et son Esprit. Nous demandons à Dieu, Dieu lui-même. « Notre Père », c’est la vraie et première demande qui conditionne toutes les autres. Ces mots nous ouvrent déjà aux biens du Ciel, où Dieu sera lui-même notre béatitude, où nous ferons nos délices de Sa présence, et où le voir sera notre salut, où nous deviendrons ce que nous sommes, en voyant Dieu tel qu’Il est. Et Jésus, par toute sa vie et par son obéissance par amour du Père, nous dévoile le Père que nous demandons dans cette prière, et nous fait comprendre comment être fils de Dieu et ainsi obtenir ce que nous demandons : Dieu le Père.
L’image du Père est bien souvent abîmée aujourd’hui par l’absence ou la défaillance des pères. Avec Jésus, nous redécouvrons le Père qui est la source de tout bien, à l’image duquel il nous faut être pour être vraiment homme en aimant nos ennemis (Mt 5,44). Le Père est Celui qui donne toujours de bonnes choses (Mt 7,11) et surtout l’Esprit-Saint (Lc 10,42). Le Père est Celui qui aime jusqu’au bout. C’est son amour que l’on reconnaît en Son Fils Jésus. En comprenant que notre première demande c’est Dieu lui-même, en découvrant que nous pouvons appeler Dieu "Père", parce que réellement nous avons reçu son Esprit-Saint - Dieu lui-même- et qu’ainsi nous sommes engendrés à une vie nouvelle, supérieure, à la vie divine, les premiers mots du Notre Père, tout en étant une demande, deviennent une action de grâce et une louange. Une louange comme celle des cieux : « Notre Père qui es au cieux »
Saint Luc situe la prière du Notre Père au cours du voyage de Jésus vers Jérusalem, à une place qui n’est pas indifférente : au retour des 72 disciples, Jésus a exulté sous l’action de l’Esprit-Saint (Lc 10,21). Après un temps de prière solitaire du maître, les disciples lui demandent de leur enseigner une formule de prière, comme Jean-Baptiste l’a fait pour les siens (Lc 11,1). L’emplacement choisi par Luc offre une clef de lecture : la prière chrétienne devient, sous l’action de l’Esprit Saint, une configuration à l’élan filial du Christ. Abba Père, c’est l’invocation propre à Jésus, prononcée sous l’action de l’Esprit Saint, comme le précise Luc dans le contexte de la prière de jubilation. Jésus y révèle à la fois son intimité avec le Père et l’amour privilégié du Père pour les petits et les humbles : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, c’est ainsi que tu en as disposé dans ta bienveillance. Tout m’a été remis par mon Père, et nul ne connaît le Fils, si ce n’est le Père, ni qui est le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. » (Lc 10,21s). Le mot prononcé par Jésus (Abba) apparaît aussi lors de la prière désolée de Gethsémani : « Abba, Père, tout t’est possible, écarte de moi cette coupe ! Pourtant non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! » (Mc 14,36). En s’adressant à Dieu comme à son Abba, Jésus témoigne à la fois du lien si étroit qui l’unit, lui, le Fils, à son Père et en même temps de sa totale dépendance. Jésus se reçoit pleinement de Dieu le Père ; de toute éternité, il est celui en qui le Père se complaît, il est celui que le Père engendre, en lui donnant tout ce qu’Il est lui-même, tout ce qui fait que Jésus est le Fils de Dieu de la même substance que le Père, Un avec lui. Que Jésus nous invite à reprendre ses mots signifie que nous avons part nous aussi au mystère de cet engendrement par le Père. Dire "Notre Père" signifie savoir qu’en moi la génération éternelle du Fils de Dieu se poursuit, et que moi-aussi j’ai part à la vie divine selon la modalité des fils : recevoir la vie du Père et la Lui rendre en action de grâce.
Cette vérité nous devient plus claire si nous prêtons attention en particulier aux traditions du catéchuménat. En effet, la prière du Notre Père est remise après le troisième scrutin aux futurs baptisés. La liturgie nous fait ainsi bien comprendre que cette prière est liée à une nouvelle naissance. C’est la prière des nouveau-nés qui ont reçu en eux le sceau de l’Esprit-Saint, qui marque leur être tout entier pour en faire un être filial. Cette prière, les baptisés, au témoignage de saint Paul, la font leur quand ils s’ouvrent comme Jésu, à l’action de l’Esprit Saint, l’Esprit d’adoption, l’Esprit de liberté : ceux-là sont fils de Dieu, qui sont conduits par l’Esprit de Dieu : vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père ! (Rm 8,15 ; Ga 4,4).
Dans la prière du Notre Père se réalisent ainsi les missions du Fils et de l’Esprit, faire de nous des fils qui crient vers Dieu en disant Abba Père. Notons enfin que, dans l’invocation de Dieu comme Père, Jésus se met à part. Il dit : « Mon Père » (Mt 16,17), tout en parlant de « Votre Père » (Mt 5,48 ;6,8 ; Jn 20,18). Ce qui est par nature en Lui, est par grâce pour nous, mais étant par grâce pour nous, cela EST tout aussi réellement. Or toute grâce implique une collaboration. Il nous faut donc collaborer à la grâce qui fait de nous des fils pour entrer chaque jour davantage dans les profondeurs de ce mystère, pour nous approcher chaque jour un peu plus près du visage tout aimant du Père.
«Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. » (Jn 1,12)
Nous venons de comprendre que pour dire vraiment "Père", pour nous adresser au seul et vrai Dieu, il nous faut dire "Père" avec et comme le Christ. Cette manière de dire et de faire comme le Christ nous révèle quelque chose de profond sur la prière du Notre Père et sur nous-mêmes. Nous pouvons dire "Père", non seulement parce que le Fils nous a révélé ce Père, mais parce qu’il s’est fait notre frère et que par son action rédemptrice nous sommes devenus véritablement des fils et filles de Dieu.
Malgré les avertissements précédents qui nous rappelaient que nous sommes fils par grâce et non par nature, il n’est cependant pas faux de dire que Dieu est notre Père parce qu’il nous a créés et que nous lui appartenons. De fait, Dieu a créé chaque individu, a infusé en chacun l’âme qu’Il a créée. Chacun est ainsi créé à son image et Dieu connaît chacun personnellement.
En même temps, l’image véritable du Père étant le Fils unique de Dieu, le seul qui est de la même substance que le Père, celui à partir duquel Dieu a créé tout homme, nous comprenons qu’être vraiment fils, signifie bien plus qu’avoir été créé par Dieu dans le Christ à son image. Pouvoir dire Père au sens le plus véritable, être fils au sens plein signifie vivre la réalité de Jésus, entrer dans la communion avec Lui. Être fils, n’est pas un simple état, mais c’est une réalité dynamique : il s’agit de devenir davantage fils en participant davantage à l’être même du Christ, en grandissant dans une communion intime et de plus en plus profonde avec Lui. In fine, nous qui ne sommes que des créatures, nous ne pouvons dire Père, sans mentir, sans nous payer de mots, nous ne pouvons avoir l’audace d’appeler en vérité Dieu Notre Père, que parce que l’intime de notre humanité est animé par la puissance du Très-Haut. La prière du Notre Père nous révèle que ce que nous avons reçu - l’Esprit-Saint, l’Esprit du Christ, Dieu lui-même, qui demeure en nous - fait de nous, réellement par grâce des fils et des filles.
En réfléchissant souvent un peu vite sur la prière du Notre Père, on compte sept demandes : depuis « que ton nom soit sanctifié » jusqu’à « délivre-nous du mal ». Mais en fait, on oublie ce qui fait le cœur de cette prière et qui est aussi une demande, la plus importante : le don du Père.
Essayons de comprendre cela : dans le Notre Père, Jésus ne nous fait pas seulement connaître Dieu en nous livrant uniquement son identité de Père, mais Il nous ouvre à la relation avec Lui, il nous ouvre à sa propre relation de Fils unique avec le Père, de sorte que nous connaissons le Père à l’intérieur de la relation de Jésus et de son Père. Le mystère insondable, que nul ne peut entrevoir, ni connaître, pas même les anges, celui de la relation personnelle du Fils vers le Père, voici que l’Esprit-Saint, l’Esprit commun du Fils et du Père nous y fait participer. Cette prière est donc liée au don de l’Esprit-Saint que nous avons reçu. L’Esprit-Saint, nous faisant entrer dans cette relation, nous fait connaître et aimer le Père, nous fait communier avec Lui.
Le Notre Père nous fait apprendre à partir de Jésus, en Jésus, qui est le Père et ce que signifie être fils. Cette prière du Notre Père ne commence pas seulement par les mots « Notre Père », comme si cela était une simple adresse, comme si nous avertissions Dieu que nous voulions lui parler, pour qu’il se tourne vers nous et nous écoute. Non dans cette prière du Notre Père, en commençant par dire « Notre Père », nous comprenons que, dans toute prière, le don de Dieu n’est pas ceci ou cela, mais que ce qui importe c’est que Dieu lui-même se donne à nous. Le don de Dieu, c’est Dieu lui-même. Les premiers mots de notre prière nous font comprendre cela. Nous comprenons que ce dont nous avons le plus réellement besoin et qui nous fait le plus défaut : c’est Dieu lui-même et son Esprit. Nous demandons à Dieu, Dieu lui-même. « Notre Père », c’est la vraie et première demande qui conditionne toutes les autres. Ces mots nous ouvrent déjà aux biens du Ciel, où Dieu sera lui-même notre béatitude, où nous ferons nos délices de Sa présence, et où le voir sera notre salut, où nous deviendrons ce que nous sommes, en voyant Dieu tel qu’Il est. Et Jésus, par toute sa vie et par son obéissance par amour du Père, nous dévoile le Père que nous demandons dans cette prière, et nous fait comprendre comment être fils de Dieu et ainsi obtenir ce que nous demandons : Dieu le Père.
L’image du Père est bien souvent abîmée aujourd’hui par l’absence ou la défaillance des pères. Avec Jésus, nous redécouvrons le Père qui est la source de tout bien, à l’image duquel il nous faut être pour être vraiment homme en aimant nos ennemis (Mt 5,44). Le Père est Celui qui donne toujours de bonnes choses (Mt 7,11) et surtout l’Esprit-Saint (Lc 10,42). Le Père est Celui qui aime jusqu’au bout. C’est son amour que l’on reconnaît en Son Fils Jésus. En comprenant que notre première demande c’est Dieu lui-même, en découvrant que nous pouvons appeler Dieu "Père", parce que réellement nous avons reçu son Esprit-Saint - Dieu lui-même- et qu’ainsi nous sommes engendrés à une vie nouvelle, supérieure, à la vie divine, les premiers mots du Notre Père, tout en étant une demande, deviennent une action de grâce et une louange. Une louange comme celle des cieux : « Notre Père qui es au cieux »
Saint Luc situe la prière du Notre Père au cours du voyage de Jésus vers Jérusalem, à une place qui n’est pas indifférente : au retour des 72 disciples, Jésus a exulté sous l’action de l’Esprit-Saint (Lc 10,21). Après un temps de prière solitaire du maître, les disciples lui demandent de leur enseigner une formule de prière, comme Jean-Baptiste l’a fait pour les siens (Lc 11,1). L’emplacement choisi par Luc offre une clef de lecture : la prière chrétienne devient, sous l’action de l’Esprit Saint, une configuration à l’élan filial du Christ. Abba Père, c’est l’invocation propre à Jésus, prononcée sous l’action de l’Esprit Saint, comme le précise Luc dans le contexte de la prière de jubilation. Jésus y révèle à la fois son intimité avec le Père et l’amour privilégié du Père pour les petits et les humbles : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, c’est ainsi que tu en as disposé dans ta bienveillance. Tout m’a été remis par mon Père, et nul ne connaît le Fils, si ce n’est le Père, ni qui est le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. » (Lc 10,21s). Le mot prononcé par Jésus (Abba) apparaît aussi lors de la prière désolée de Gethsémani : « Abba, Père, tout t’est possible, écarte de moi cette coupe ! Pourtant non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! » (Mc 14,36). En s’adressant à Dieu comme à son Abba, Jésus témoigne à la fois du lien si étroit qui l’unit, lui, le Fils, à son Père et en même temps de sa totale dépendance. Jésus se reçoit pleinement de Dieu le Père ; de toute éternité, il est celui en qui le Père se complaît, il est celui que le Père engendre, en lui donnant tout ce qu’Il est lui-même, tout ce qui fait que Jésus est le Fils de Dieu de la même substance que le Père, Un avec lui. Que Jésus nous invite à reprendre ses mots signifie que nous avons part nous aussi au mystère de cet engendrement par le Père. Dire "Notre Père" signifie savoir qu’en moi la génération éternelle du Fils de Dieu se poursuit, et que moi-aussi j’ai part à la vie divine selon la modalité des fils : recevoir la vie du Père et la Lui rendre en action de grâce.
Cette vérité nous devient plus claire si nous prêtons attention en particulier aux traditions du catéchuménat. En effet, la prière du Notre Père est remise après le troisième scrutin aux futurs baptisés. La liturgie nous fait ainsi bien comprendre que cette prière est liée à une nouvelle naissance. C’est la prière des nouveau-nés qui ont reçu en eux le sceau de l’Esprit-Saint, qui marque leur être tout entier pour en faire un être filial. Cette prière, les baptisés, au témoignage de saint Paul, la font leur quand ils s’ouvrent comme Jésu, à l’action de l’Esprit Saint, l’Esprit d’adoption, l’Esprit de liberté : ceux-là sont fils de Dieu, qui sont conduits par l’Esprit de Dieu : vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père ! (Rm 8,15 ; Ga 4,4).
Dans la prière du Notre Père se réalisent ainsi les missions du Fils et de l’Esprit, faire de nous des fils qui crient vers Dieu en disant Abba Père. Notons enfin que, dans l’invocation de Dieu comme Père, Jésus se met à part. Il dit : « Mon Père » (Mt 16,17), tout en parlant de « Votre Père » (Mt 5,48 ;6,8 ; Jn 20,18). Ce qui est par nature en Lui, est par grâce pour nous, mais étant par grâce pour nous, cela EST tout aussi réellement. Or toute grâce implique une collaboration. Il nous faut donc collaborer à la grâce qui fait de nous des fils pour entrer chaque jour davantage dans les profondeurs de ce mystère, pour nous approcher chaque jour un peu plus près du visage tout aimant du Père.
"NOTRE PÈRE", UN "NOTRE" ENCOMBRANT 18 février 2018
Le grand saint Augustin en ses jeunes années, déjà marqué par une quête insatiable de Dieu, avait fait de cette phrase « Dieu et l’âme – rien d’autre » le programme de sa vie. Mais comme nous allons le voir, ce programme n’est pas chrétien. Nous n’allons pas au Père sans prendre les autres avec nous. Très naturellement en nous, peut venir cette résistance : "Faut-il donc que je sois toujours encombré des autres ? Je suis moi, et moi seul est moi. Je suis fils seul, qu’ai-je besoin encore de prendre d’autres avec moi pour être avec le Père ?" Mais est-ce si sûr ? Puis-je être vraiment moi-même seulement par moi-même ? Le Notre Père vient nous rappeler alors avec force que seul Dieu est vraiment lui-même. Que nous tous, aimés chacun personnellement par Dieu, n’existons que dans une communauté avec tous les autres. Il faut accepter par cette prière d’être vraiment inséré dans la communauté des personnes créées.
Certes, Dieu ne se divise pas, et il est donné totalement à chacun comme Dieu. Oui, Sa Parole part toujours du plus intime de son être pour aller jusqu’au plus intime du mien. Oui, la Parole, la grâce qu’Il me donne ne sont données qu’à moi. Oui, il y a entre lui et moi un lien exclusif, un mystère que nul ne peut pénétrer. Bien sûr, je n’appartiens pas à une masse quand je vais vers Dieu. Mais cependant, c’est toujours comme créature, appartenant à l’humanité que Dieu a voulu « une », uni au Christ et membre du Corps du Christ, que je peux adresser la prière des enfants de Dieu. Quand nous prions, nous ne prions pas seul, ni pour nous seul, mais avec et pour tout le peuple car avec tout le peuple nous sommes un. Saint Cyprien nous rappelle ainsi que « le Dieu de la paix et le maître de la concorde, qui ont enseigné l’unité, ont voulu que chacun prie pour tous comme lui-même nous a tous portés en un ».
Le grand saint Augustin en ses jeunes années, déjà marqué par une quête insatiable de Dieu, avait fait de cette phrase « Dieu et l’âme – rien d’autre » le programme de sa vie. Mais comme nous allons le voir, ce programme n’est pas chrétien. Nous n’allons pas au Père sans prendre les autres avec nous. Très naturellement en nous, peut venir cette résistance : "Faut-il donc que je sois toujours encombré des autres ? Je suis moi, et moi seul est moi. Je suis fils seul, qu’ai-je besoin encore de prendre d’autres avec moi pour être avec le Père ?" Mais est-ce si sûr ? Puis-je être vraiment moi-même seulement par moi-même ? Le Notre Père vient nous rappeler alors avec force que seul Dieu est vraiment lui-même. Que nous tous, aimés chacun personnellement par Dieu, n’existons que dans une communauté avec tous les autres. Il faut accepter par cette prière d’être vraiment inséré dans la communauté des personnes créées.
Certes, Dieu ne se divise pas, et il est donné totalement à chacun comme Dieu. Oui, Sa Parole part toujours du plus intime de son être pour aller jusqu’au plus intime du mien. Oui, la Parole, la grâce qu’Il me donne ne sont données qu’à moi. Oui, il y a entre lui et moi un lien exclusif, un mystère que nul ne peut pénétrer. Bien sûr, je n’appartiens pas à une masse quand je vais vers Dieu. Mais cependant, c’est toujours comme créature, appartenant à l’humanité que Dieu a voulu « une », uni au Christ et membre du Corps du Christ, que je peux adresser la prière des enfants de Dieu. Quand nous prions, nous ne prions pas seul, ni pour nous seul, mais avec et pour tout le peuple car avec tout le peuple nous sommes un. Saint Cyprien nous rappelle ainsi que « le Dieu de la paix et le maître de la concorde, qui ont enseigné l’unité, ont voulu que chacun prie pour tous comme lui-même nous a tous portés en un ».
"NOTRE PÈRE", LA PRIÈRE DES FRÈRES 25 février 2018
« Un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous. » (Ep 4,6)
Nous avons commencé notre réflexion en nous arrêtant sur la signification chrétienne du nom de Père, cherchant à comprendre qui était ce Père des cieux et ce qui nous permettait de l’appeler légitimement « Père », sans nous tromper ou parler légèrement. Il aurait été tout aussi légitime de commencer notre étude du Notre Père en nous penchant sur le premier mot de cette prière « Notre ». Ce mot est d’une importance capitale et le négliger en allant tout de suite dans notre prière sur celui de « Père » serait une grave erreur. Tâchons maintenant d’en comprendre toute la richesse, en commençant par quelques remarques.
En tout premier lieu, le terme « notre » renvoie non pas à une possession mais à une relation : Dire « notre » Père signifie prendre conscience, reconnaître le caractère inouï d’une nouvelle relation établie avec Dieu ; cela signifie découvrir que toutes les promesses annoncées par les prophètes ont été accomplies : nous sommes devenus son peuple et il est désormais notre Dieu. Cela exprime la certitude de notre espérance en l’accomplissement de l’ultime promesse de Dieu (Ap 21,7) : « Je serai son Dieu et lui sera mon fils ».
Ensuite, puisque – comme nous l’avons dit dans les catéchèses précédentes – la prière du « notre Père » nous ouvre à la rencontre avec le vrai Dieu, alors si cette prière est dite en vérité, elle doit nous ouvrir à la communion d’amour qui est en Dieu, communion que nous ne pouvons vivre authentiquement que dans la charité fraternelle elle-même, et donc dans un « je » compris dans le « nous » des frères.
En outre, ce « notre » renvoie au fait que la paternité divine, à la différence de toutes les paternités terrestres, est non pas ce qui nous distingue et divise mais ce qui nous rassemble. Sa paternité est ainsi la seule pleinement réelle.
Ce « notre » nous rappelle d’autre part que nous ne pouvons aller au Père seul, que nous ne pouvons être fils véritablement que par Jésus, en lui, et ainsi en communion les uns avec les autres. Vivre ce « notre » est la condition nécessaire pour pouvoir appeler Dieu « Père ».
Enfin, lorsque nous disons « Notre Père », nous distinguons clairement dans notre prière une personne de la trinité des deux autres. Mais nous savons aussi qu’il n’y a pas de division dans le vrai Dieu et nous avons l’intuition de leur communion, de leur unité.
Si le Fils et l’Esprit-Saint peuvent seuls nous unir au Père – comme nous l’avons vu plus haut – c’est parce qu’Ils sont un avec Lui. Si donc par eux nous adorons le Père, alors nous adorons aussi le Fils et l’Esprit-Saint qui sont un avec le Père.
« Un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous. » (Ep 4,6)
Nous avons commencé notre réflexion en nous arrêtant sur la signification chrétienne du nom de Père, cherchant à comprendre qui était ce Père des cieux et ce qui nous permettait de l’appeler légitimement « Père », sans nous tromper ou parler légèrement. Il aurait été tout aussi légitime de commencer notre étude du Notre Père en nous penchant sur le premier mot de cette prière « Notre ». Ce mot est d’une importance capitale et le négliger en allant tout de suite dans notre prière sur celui de « Père » serait une grave erreur. Tâchons maintenant d’en comprendre toute la richesse, en commençant par quelques remarques.
En tout premier lieu, le terme « notre » renvoie non pas à une possession mais à une relation : Dire « notre » Père signifie prendre conscience, reconnaître le caractère inouï d’une nouvelle relation établie avec Dieu ; cela signifie découvrir que toutes les promesses annoncées par les prophètes ont été accomplies : nous sommes devenus son peuple et il est désormais notre Dieu. Cela exprime la certitude de notre espérance en l’accomplissement de l’ultime promesse de Dieu (Ap 21,7) : « Je serai son Dieu et lui sera mon fils ».
Ensuite, puisque – comme nous l’avons dit dans les catéchèses précédentes – la prière du « notre Père » nous ouvre à la rencontre avec le vrai Dieu, alors si cette prière est dite en vérité, elle doit nous ouvrir à la communion d’amour qui est en Dieu, communion que nous ne pouvons vivre authentiquement que dans la charité fraternelle elle-même, et donc dans un « je » compris dans le « nous » des frères.
En outre, ce « notre » renvoie au fait que la paternité divine, à la différence de toutes les paternités terrestres, est non pas ce qui nous distingue et divise mais ce qui nous rassemble. Sa paternité est ainsi la seule pleinement réelle.
Ce « notre » nous rappelle d’autre part que nous ne pouvons aller au Père seul, que nous ne pouvons être fils véritablement que par Jésus, en lui, et ainsi en communion les uns avec les autres. Vivre ce « notre » est la condition nécessaire pour pouvoir appeler Dieu « Père ».
Enfin, lorsque nous disons « Notre Père », nous distinguons clairement dans notre prière une personne de la trinité des deux autres. Mais nous savons aussi qu’il n’y a pas de division dans le vrai Dieu et nous avons l’intuition de leur communion, de leur unité.
Si le Fils et l’Esprit-Saint peuvent seuls nous unir au Père – comme nous l’avons vu plus haut – c’est parce qu’Ils sont un avec Lui. Si donc par eux nous adorons le Père, alors nous adorons aussi le Fils et l’Esprit-Saint qui sont un avec le Père.
"NOTRE PÈRE", LA FOI EN DIALOGUE : LA FOI COMME RÉPONSE 1/4 4 mars 2018
Cette prière du Notre Père est peut-être, entre toutes, celle qui nous définit le plus comme chrétien. Elle est donc directement liée à ce qui fait le cœur et l’essence de notre foi. Les mots qui la composent, et en particulier le premier, doivent éclairer et se laisser eux-mêmes éclairer par la nature et le contenu de notre foi.
Nous avons pris l’habitude de réciter notre foi comme on pourrait réciter un texte appris par cœur, un texte renfermant un contenu, dont nous avons pu approfondir le sens par notre réflexion. Mais peut-être avons-nous oublié que la forme la plus ancienne de la profession de foi – que l’on retrouve dans la liturgie du baptême – est un dialogue en trois parties. Une triple affirmation positive opposée à la triple renonciation dite auparavant. Nous savons bien d’ailleurs que la foi n’est pas d’abord récitation d’un contenu mais que fondamentalement elle est un acte de conversion, un retournement de tout notre être pour nous tourner plein de confiance vers le Dieu invisible.
Dans ce processus de conversion qui caractérise la foi, le « je » et le « tu », le « je » et le « nous » s’entrelacent. Oui, c’est bien moi, à la première personne, qui crois ; oui, c’est moi qui me convertis, et c’est mon existence qui doit changer et être transformée, et nul autre à ma place. Je dis : « je renonce » et « je crois ».
Mais à côté de cet élément personnel se trouve également un autre élément : l’option du moi se présente sous la forme d’une réponse à une question : « crois-tu ? » : « je crois ». On comprend alors la structure de la foi.
Cette prière du Notre Père est peut-être, entre toutes, celle qui nous définit le plus comme chrétien. Elle est donc directement liée à ce qui fait le cœur et l’essence de notre foi. Les mots qui la composent, et en particulier le premier, doivent éclairer et se laisser eux-mêmes éclairer par la nature et le contenu de notre foi.
Nous avons pris l’habitude de réciter notre foi comme on pourrait réciter un texte appris par cœur, un texte renfermant un contenu, dont nous avons pu approfondir le sens par notre réflexion. Mais peut-être avons-nous oublié que la forme la plus ancienne de la profession de foi – que l’on retrouve dans la liturgie du baptême – est un dialogue en trois parties. Une triple affirmation positive opposée à la triple renonciation dite auparavant. Nous savons bien d’ailleurs que la foi n’est pas d’abord récitation d’un contenu mais que fondamentalement elle est un acte de conversion, un retournement de tout notre être pour nous tourner plein de confiance vers le Dieu invisible.
Dans ce processus de conversion qui caractérise la foi, le « je » et le « tu », le « je » et le « nous » s’entrelacent. Oui, c’est bien moi, à la première personne, qui crois ; oui, c’est moi qui me convertis, et c’est mon existence qui doit changer et être transformée, et nul autre à ma place. Je dis : « je renonce » et « je crois ».
Mais à côté de cet élément personnel se trouve également un autre élément : l’option du moi se présente sous la forme d’une réponse à une question : « crois-tu ? » : « je crois ». On comprend alors la structure de la foi.
"NOTRE PÈRE", LA FOI EN DIALOGUE : LA FOI NAIT DE LA PRÉDICATION ET N'EST PAS LE FRUIT DE MA PENSÉE 2/4 11 mars 2018
La foi n’est pas le résultat d’élucubrations du moi solitaire qui se forgerait des idées et qui, détaché de tout, rêverait tout seul à la vérité. La foi est le fruit d’un dialogue, l’expression d’une audition, d’un accueil et d’une réponse, par laquelle l’homme, grâce à l’échange entre le "je" et le "tu" s’insère dans le nous de ceux qui partagent la même foi. La foi nait de la prédication, et non de la réflexion comme en philosophie. La foi par nature ne veut pas concevoir ce qui est concevable au point de constituer finalement un fruit de ma pensée. La caractéristique de la foi est de naître de la prédication, d’être accueil d’une donnée, non un produit personnel. L’exercice de ma pensée sur l’objet de la foi est toujours une re-pensée sur ce que j’ai entendu et reçu.
Dans la foi, il y a priorité de la parole sur la pensée, à la différence de la philosophie où il y a une priorité de la pensée sur la parole. La philosophie est le produit d’une réflexion qu’on essaye de traduire en paroles. La foi se présente à l’homme de l’extérieur, elle n’est pas une idée personnelle mais est la parole d’un autre, ni conçue, ni pleinement concevable par moi. "Crois-tu ?" - "Je crois." La foi nous devance et n’est pas le fruit d’une recherche privée. La caractéristique de la foi est l’accueil d’un donné impossible à concevoir pleinement, accueil qui engage ma responsabilité, car même si le don n’est jamais pleinement ma propriété, et que je ne peux jamais combler pleinement mon retard par rapport à lui, je dois chercher à l’assimiler de plus en plus, en me livrant à lui comme à un plus grand que moi. Il résulte de cela que la parole de foi n’est pas adaptable à loisir, interchangeable ; elle m’est imposée toute préparée, devançant ma pensée. La réalité de ce donné me donne ce que je ne saurais me donner à moi-même.
A la réalité objective de la foi et à la priorité de la parole se rattache la dimension sociale de la foi, qui s’oppose à la dimension individualiste de la philosophie, au moins dans son élaboration avant sa communication.
La foi n’est pas le résultat d’élucubrations du moi solitaire qui se forgerait des idées et qui, détaché de tout, rêverait tout seul à la vérité. La foi est le fruit d’un dialogue, l’expression d’une audition, d’un accueil et d’une réponse, par laquelle l’homme, grâce à l’échange entre le "je" et le "tu" s’insère dans le nous de ceux qui partagent la même foi. La foi nait de la prédication, et non de la réflexion comme en philosophie. La foi par nature ne veut pas concevoir ce qui est concevable au point de constituer finalement un fruit de ma pensée. La caractéristique de la foi est de naître de la prédication, d’être accueil d’une donnée, non un produit personnel. L’exercice de ma pensée sur l’objet de la foi est toujours une re-pensée sur ce que j’ai entendu et reçu.
Dans la foi, il y a priorité de la parole sur la pensée, à la différence de la philosophie où il y a une priorité de la pensée sur la parole. La philosophie est le produit d’une réflexion qu’on essaye de traduire en paroles. La foi se présente à l’homme de l’extérieur, elle n’est pas une idée personnelle mais est la parole d’un autre, ni conçue, ni pleinement concevable par moi. "Crois-tu ?" - "Je crois." La foi nous devance et n’est pas le fruit d’une recherche privée. La caractéristique de la foi est l’accueil d’un donné impossible à concevoir pleinement, accueil qui engage ma responsabilité, car même si le don n’est jamais pleinement ma propriété, et que je ne peux jamais combler pleinement mon retard par rapport à lui, je dois chercher à l’assimiler de plus en plus, en me livrant à lui comme à un plus grand que moi. Il résulte de cela que la parole de foi n’est pas adaptable à loisir, interchangeable ; elle m’est imposée toute préparée, devançant ma pensée. La réalité de ce donné me donne ce que je ne saurais me donner à moi-même.
A la réalité objective de la foi et à la priorité de la parole se rattache la dimension sociale de la foi, qui s’oppose à la dimension individualiste de la philosophie, au moins dans son élaboration avant sa communication.
"NOTRE PÈRE", LA FOI EN DIALOGUE : LA FOI COMME PAROLE, LA FOI COMME COMMUNION 3/4 18 mars 2018
Tandis que la pensée est toujours intérieure à nous-mêmes, la parole est facteur de relation. Grâce à la parole, la communication s’établit au niveau, non plus seulement des corps, mais des esprits. Grâce à la parole, notre esprit devient vraiment humain parce qu’il devient social. En voyant que la parole vient avant la pensée dans la foi, nous comprenons alors que la foi vise tout d’abord à la communion de l’esprit – par une démarche différente de celle de la philosophie, qui est une quête d’une vérité personnelle transmise ensuite aux autres. La foi est d’abord appel à une communion, appel à l’unité sociale de l’esprit, par l’unité de la parole. C’est seulement dans un second temps que la foi ouvre à chacun la voie d’une aventure personnelle vers la vérité.
Nous comprenons ainsi par cette structure de la foi – qui nait du dialogue ; qui est parole avant d’être pensée ; qui vise la communion – que l’homme ne peut entrer en contact avec Dieu que dans la mesure où il entre en contact avec ses semblables. La foi nous ordonne nécessairement au « tu » et au « nous ». En fait, la structure de la foi nous fait découvrir que Dieu ne peut venir à l’homme que par l’homme. Il ne cherche pas l’homme en dehors de ses relations sociales.
Il semble pourtant qu’au sein des hommes certains soient plus doués et plus sensibles pour les choses de Dieu que d’autres, car ils ont un grand sens religieux, qui est pour eux expérience et certitude. Si Dieu s’adresse à chacun, ne faudrait-il pas une égalité de chance devant cet appel pour parvenir à la certitude ? En fait, si Dieu se donne aux hommes par les hommes, on voit bien comment ces diversités parmi les hommes obligent les hommes à se tourner les uns vers les autres. Finalement la venue du Christ, Parole de Dieu faite chair, est une invitation plus pressante au dialogue entre les hommes. Dans ce dialogue, il ne faut pas seulement dire des choses mais se dire soi-même, comme Dieu lui-même. Alors dans ce don, dans cette communication de soi, le logos divin, le Verbe de Dieu, s’incorpore avec le logos humain dans la parole de l’homme.
Tandis que la pensée est toujours intérieure à nous-mêmes, la parole est facteur de relation. Grâce à la parole, la communication s’établit au niveau, non plus seulement des corps, mais des esprits. Grâce à la parole, notre esprit devient vraiment humain parce qu’il devient social. En voyant que la parole vient avant la pensée dans la foi, nous comprenons alors que la foi vise tout d’abord à la communion de l’esprit – par une démarche différente de celle de la philosophie, qui est une quête d’une vérité personnelle transmise ensuite aux autres. La foi est d’abord appel à une communion, appel à l’unité sociale de l’esprit, par l’unité de la parole. C’est seulement dans un second temps que la foi ouvre à chacun la voie d’une aventure personnelle vers la vérité.
Nous comprenons ainsi par cette structure de la foi – qui nait du dialogue ; qui est parole avant d’être pensée ; qui vise la communion – que l’homme ne peut entrer en contact avec Dieu que dans la mesure où il entre en contact avec ses semblables. La foi nous ordonne nécessairement au « tu » et au « nous ». En fait, la structure de la foi nous fait découvrir que Dieu ne peut venir à l’homme que par l’homme. Il ne cherche pas l’homme en dehors de ses relations sociales.
Il semble pourtant qu’au sein des hommes certains soient plus doués et plus sensibles pour les choses de Dieu que d’autres, car ils ont un grand sens religieux, qui est pour eux expérience et certitude. Si Dieu s’adresse à chacun, ne faudrait-il pas une égalité de chance devant cet appel pour parvenir à la certitude ? En fait, si Dieu se donne aux hommes par les hommes, on voit bien comment ces diversités parmi les hommes obligent les hommes à se tourner les uns vers les autres. Finalement la venue du Christ, Parole de Dieu faite chair, est une invitation plus pressante au dialogue entre les hommes. Dans ce dialogue, il ne faut pas seulement dire des choses mais se dire soi-même, comme Dieu lui-même. Alors dans ce don, dans cette communication de soi, le logos divin, le Verbe de Dieu, s’incorpore avec le logos humain dans la parole de l’homme.
"NOTRE PÈRE", LA FOI EN DIALOGUE : LA FOI COMME SYMBOLE 4/4 25 mars 2018
Sans trop savoir à quoi cela correspond, pour désigner le « credo » que nous récitons à la messe ou au début de nos chapelets, nous parlons du « symbole » des apôtres ou du « symbole » de Nicée-Constantinople. Nous disons donc que la foi que nous récitons est un « symbole ». Mais qu’entendons-nous par-là ?
Dire la foi comme symbole, c’est exprimer la nature de la foi : cette foi n’est pas une simple liste, une série de dogmes que nous pourrions séparer comme des atomes. Nous l’avons vu, originairement et encore pour nous aujourd’hui, la foi est assentiment, renonciation, conversion, retournement de l’être, nouvelle orientation donnée à notre vie dans le cadre du dialogue baptismal, qui lie tout cela comme une unité. Le terme symbole renvoie à un verbe qui signifie : mettre ensemble, réunir.
Il s’agissait dans l’antiquité de réunir deux morceaux d’un même objet qu’on avait rompu comme signe de reconnaissance pour des hôtes, des messagers ou des partenaires d’un traité. Être en possession d’un des morceaux donnait droit vis-à-vis de l’autre possesseur du second morceau à tel ou tel objet, ou prestation. Le symbole est donc par définition un élément qui renvoie à un autre élément destiné à le compléter pour créer une unité réciproque. Le symbole est expression et moyen d’unité. Tel est donc le sens du symbole de la foi chrétienne : permettre l’unité, permettre une profession commune de Dieu, une adoration commune.
Le symbole comme tel renvoie à l’autre, à l’unité de l’esprit dans l’unité de la parole professée. Le dogme exprimé dans le symbole est l’expression de notre culte, la forme de notre conversion, par laquelle nous nous tournons vers Dieu mais aussi les uns vers les autres pour sa commune glorification. Chaque homme ne détient la foi que comme symbole, qui ne trouve son unité et son intégralité qu’en s’unissant aux autres. Pour réaliser le symbole, l’union aux autres est nécessaire. La foi demande l’unité, et est tournée vers l’Église. L’Église est partie intégrante de la foi. Je ne peux pas prétendre vivre ma foi seul sans perdre ainsi pour moi-même le symbole de la foi. De même, l’Église elle-même dans sa totalité ne détient la foi que comme symbole, comme moitié brisée, qui n’est vérité que par sa relation à l’infini, à Dieu, à ce qui est tout autre, et à quoi elle vise au-delà d’elle-même.
Sans trop savoir à quoi cela correspond, pour désigner le « credo » que nous récitons à la messe ou au début de nos chapelets, nous parlons du « symbole » des apôtres ou du « symbole » de Nicée-Constantinople. Nous disons donc que la foi que nous récitons est un « symbole ». Mais qu’entendons-nous par-là ?
Dire la foi comme symbole, c’est exprimer la nature de la foi : cette foi n’est pas une simple liste, une série de dogmes que nous pourrions séparer comme des atomes. Nous l’avons vu, originairement et encore pour nous aujourd’hui, la foi est assentiment, renonciation, conversion, retournement de l’être, nouvelle orientation donnée à notre vie dans le cadre du dialogue baptismal, qui lie tout cela comme une unité. Le terme symbole renvoie à un verbe qui signifie : mettre ensemble, réunir.
Il s’agissait dans l’antiquité de réunir deux morceaux d’un même objet qu’on avait rompu comme signe de reconnaissance pour des hôtes, des messagers ou des partenaires d’un traité. Être en possession d’un des morceaux donnait droit vis-à-vis de l’autre possesseur du second morceau à tel ou tel objet, ou prestation. Le symbole est donc par définition un élément qui renvoie à un autre élément destiné à le compléter pour créer une unité réciproque. Le symbole est expression et moyen d’unité. Tel est donc le sens du symbole de la foi chrétienne : permettre l’unité, permettre une profession commune de Dieu, une adoration commune.
Le symbole comme tel renvoie à l’autre, à l’unité de l’esprit dans l’unité de la parole professée. Le dogme exprimé dans le symbole est l’expression de notre culte, la forme de notre conversion, par laquelle nous nous tournons vers Dieu mais aussi les uns vers les autres pour sa commune glorification. Chaque homme ne détient la foi que comme symbole, qui ne trouve son unité et son intégralité qu’en s’unissant aux autres. Pour réaliser le symbole, l’union aux autres est nécessaire. La foi demande l’unité, et est tournée vers l’Église. L’Église est partie intégrante de la foi. Je ne peux pas prétendre vivre ma foi seul sans perdre ainsi pour moi-même le symbole de la foi. De même, l’Église elle-même dans sa totalité ne détient la foi que comme symbole, comme moitié brisée, qui n’est vérité que par sa relation à l’infini, à Dieu, à ce qui est tout autre, et à quoi elle vise au-delà d’elle-même.
"NOTRE PÈRE", QUELLE FRATERNITÉ : LE FRÈRE ET L’ÉTRANGER DANS L'ANCIEN TESTAMENT 1er avril 2018
Toute la suite de notre réflexion sur ce terme « Notre » prendra appui désormais principalement sur un ouvrage du cardinal Ratzinger intitulé Frères dans le Christ, parcourant les écritures en même temps que les réflexions et réalisations plus ou moins concrètes de la fraternité, pour extraire de ce parcours une compréhension vraiment chrétienne du frère et donc de ce « Notre » qui introduit la prière du Notre Père.
De manière tout à fait normale, dans l’histoire des hommes la fraternité est d’abord un phénomène de consanguinité. Ensuite seront appelés frères les compatriotes, qui répondent à une vision étendue de la consanguinité. Enfin d’autres, comme Xénophon par exemple, appelleront frère l’ami. Dans tous ces cas, la fraternité créée une frontière, puisqu’il s’agit d’une nationalité commune qui crée la fraternité de sorte que l’étranger est le non frère. Se grouper, c’est ainsi se séparer des autres et le comportement en usage avec ses frères (sang, cité, nation, ami) diffère d’avec celui avec les non-frères. Il y a un impératif moral à l’intérieur du cercle qui n’est pas le même qu’à l’extérieur du cercle.
Dans l’Ancien-Testament, le frère est le coreligionnaire qui, parfois mais pas toujours, se confond avec le compatriote. Il y a les frères et les nations, et deux comportements moraux différents à l’égard des uns ou des autres. Une grande question posée dans l’Ancien-Testament est : "qui est mon prochain ?" La première réponse donnée est que le frère est celui qui appartient au peuple de Dieu, élu. Ainsi, la communauté fraternelle tire son origine non pas seulement dans la communauté de sang, mais dans la commune élection divine. Dans cette fraternité ce n’est pas la mère commune (la cité) mais le Père commun qui est au premier plan. La fraternité d’Israël a pour origine le Père commun, Dieu qui pourtant n’est pas seulement le Dieu d’Israël mais le Père de tous les humains. Il y a ainsi un grand paradoxe qui est en même temps une tension dans l’Ancien-Testament : Lle Dieu d’Israël n’est pas le Dieu national mais le Dieu de l’univers. Cela implique la mise en question de toute tentative pour s’enfermer à l’intérieur d’une fraternité proprement nationale. Puisque l’élection est le fait de Dieu et non des mérites d’Israël, il y a une fragilité structurelle dans la conscience nationale fermée d’Israël, car les dispositions de Dieu à son égard pourraient en droit changer, d’autant plus légitimement qu’Israël par son péché se rend toujours plus indigne de l’élection.
On constate cependant que dans le judaïsme tardif la notion de religion s’est rationalisée de plus en plus, et ainsi le fait d’une libre décision divine et gratuite dans l’élection a paru inacceptable. Est donc née l’idée que Dieu avait offert la torah à tous les peuples mais qu’Israël seulement l'avait acceptée. C’est donc Israël, qui, en fin de compte, a choisi Dieu. Dans cette perspective, il devient normal d’opérer une séparation entre ceux qui ont accueilli et ceux qui ont rejeté la paternité de Dieu.
Malgré cela demeure toujours dans l’Ancien Testament une tension dans la compréhension de ce qu’est l’idéal fraternel entre une communauté fermée avec Abraham, Isaac, Jacob comme origine, et un horizon universaliste de l’histoire biblique qui ne présente pas seulement l’histoire d’Israël mais l’histoire d’Israël insérée dans l’histoire universelle de l’unique humanité. Tous les hommes forment une unique humanité issue d’une souche unique, issue de l’unique acte créateur de Dieu.
On se trouve donc dans une approche du frère dans laquelle il y a tout de même dualité - il y a un prochain et il y a un étranger – qui n’est pas un pur dualisme – comme cela se fait pour le monde grec et dans les autres religions autour d’Israël. En effet dans toute l’histoire d’Israël apparait ce qu’on appelle la théologie des deux frères, dans laquelle celui qui n’est pas élu ou rejeté - Caïn, Ismaël, Esaü… – demeure frère et sujet des bénédictions de Dieu.
Toute la suite de notre réflexion sur ce terme « Notre » prendra appui désormais principalement sur un ouvrage du cardinal Ratzinger intitulé Frères dans le Christ, parcourant les écritures en même temps que les réflexions et réalisations plus ou moins concrètes de la fraternité, pour extraire de ce parcours une compréhension vraiment chrétienne du frère et donc de ce « Notre » qui introduit la prière du Notre Père.
De manière tout à fait normale, dans l’histoire des hommes la fraternité est d’abord un phénomène de consanguinité. Ensuite seront appelés frères les compatriotes, qui répondent à une vision étendue de la consanguinité. Enfin d’autres, comme Xénophon par exemple, appelleront frère l’ami. Dans tous ces cas, la fraternité créée une frontière, puisqu’il s’agit d’une nationalité commune qui crée la fraternité de sorte que l’étranger est le non frère. Se grouper, c’est ainsi se séparer des autres et le comportement en usage avec ses frères (sang, cité, nation, ami) diffère d’avec celui avec les non-frères. Il y a un impératif moral à l’intérieur du cercle qui n’est pas le même qu’à l’extérieur du cercle.
Dans l’Ancien-Testament, le frère est le coreligionnaire qui, parfois mais pas toujours, se confond avec le compatriote. Il y a les frères et les nations, et deux comportements moraux différents à l’égard des uns ou des autres. Une grande question posée dans l’Ancien-Testament est : "qui est mon prochain ?" La première réponse donnée est que le frère est celui qui appartient au peuple de Dieu, élu. Ainsi, la communauté fraternelle tire son origine non pas seulement dans la communauté de sang, mais dans la commune élection divine. Dans cette fraternité ce n’est pas la mère commune (la cité) mais le Père commun qui est au premier plan. La fraternité d’Israël a pour origine le Père commun, Dieu qui pourtant n’est pas seulement le Dieu d’Israël mais le Père de tous les humains. Il y a ainsi un grand paradoxe qui est en même temps une tension dans l’Ancien-Testament : Lle Dieu d’Israël n’est pas le Dieu national mais le Dieu de l’univers. Cela implique la mise en question de toute tentative pour s’enfermer à l’intérieur d’une fraternité proprement nationale. Puisque l’élection est le fait de Dieu et non des mérites d’Israël, il y a une fragilité structurelle dans la conscience nationale fermée d’Israël, car les dispositions de Dieu à son égard pourraient en droit changer, d’autant plus légitimement qu’Israël par son péché se rend toujours plus indigne de l’élection.
On constate cependant que dans le judaïsme tardif la notion de religion s’est rationalisée de plus en plus, et ainsi le fait d’une libre décision divine et gratuite dans l’élection a paru inacceptable. Est donc née l’idée que Dieu avait offert la torah à tous les peuples mais qu’Israël seulement l'avait acceptée. C’est donc Israël, qui, en fin de compte, a choisi Dieu. Dans cette perspective, il devient normal d’opérer une séparation entre ceux qui ont accueilli et ceux qui ont rejeté la paternité de Dieu.
Malgré cela demeure toujours dans l’Ancien Testament une tension dans la compréhension de ce qu’est l’idéal fraternel entre une communauté fermée avec Abraham, Isaac, Jacob comme origine, et un horizon universaliste de l’histoire biblique qui ne présente pas seulement l’histoire d’Israël mais l’histoire d’Israël insérée dans l’histoire universelle de l’unique humanité. Tous les hommes forment une unique humanité issue d’une souche unique, issue de l’unique acte créateur de Dieu.
On se trouve donc dans une approche du frère dans laquelle il y a tout de même dualité - il y a un prochain et il y a un étranger – qui n’est pas un pur dualisme – comme cela se fait pour le monde grec et dans les autres religions autour d’Israël. En effet dans toute l’histoire d’Israël apparait ce qu’on appelle la théologie des deux frères, dans laquelle celui qui n’est pas élu ou rejeté - Caïn, Ismaël, Esaü… – demeure frère et sujet des bénédictions de Dieu.
"NOTRE PÈRE", QUELLE FRATERNITÉ : APPROCHE PHILOSOPHIQUE DE LA FRATERNITÉ 8 avril 2018
Dans un premier temps, l’idéal fraternel des Grecs était celui de la cité. Était frère le concitoyen. Mais le temps de la décadence de la cité a donné naissance à d’autres types de communautés de type religieux – en particulier sous l’influence des cultes orientaux. Les membres de ces cultes sont frères en raison de leur Dieu commun. On observe ainsi jusque dans le judaïsme la création de sectes – les Esséniens par exemple – opérant une séparation stricte d’avec le reste du monde, en raison du désir de communauté plus restreinte. La fraternité qui naît n’est pas seulement la conséquence d’un choix personnel d’entrer dans telle ou telle communauté mais devient une réalité quasi-mystique et ontologique – c’est-à-dire transformant l’être de la personne – en raison des rites célébrés dans ces types de sociétés à mystères. Ces sectes introduisent une grande séparation avec l’extérieur et donc une double morale, la morale vécue entre ceux qui sont à l’intérieur impliquant même parfois des procédés criminels à l’extérieur.
Selon une tendance totalement opposée, on trouve le stoïcisme d’Épictète, Sénèque, ou Marc-Aurèle, qui va dans le sens d’un universalisme : tous les hommes sont frères en raison d’un père commun – réalité impersonnelle et cosmique – et les initiés, loin de rejeter les autres hommes portent même devant le Père les frères non-initiés qui s’ignorent.
En avançant à grand pas, nous voici arrivés aux Lumières qui reçoivent l’héritage de la fraternité unique et universelle des stoïciens et la systématisent. Mais avec eux s’opère un glissement : en effet que la qualité de frère tire son origine de la paternité commune de Dieu passe au second plan chez les Lumières. La fraternité universelle est considérée d’en-bas. Elle vient de l’égalité d’origine et de nature de tous les hommes. Les Lumières ont recours, par-delà l’histoire, à la nature, une nature présupposée à l’histoire elle-même. Toutes les différences entre les hommes viennent d’une situation de fait, de l’arbitraire de l’histoire. Il faut donc faire triompher la nature originelle contre les stupéfactions de l’histoire. La qualité de frère ainsi ne pose plus deux ordres de morale. Toutes les barrières sont détruites et le comportement moral est le même pour tous. Cela a un grand prix mais aussi un grand coût : le sentiment fraternel étendu démesurément devient irréel et vide de sens. On ne peut plus prendre au sérieux un sentiment fraternel qui prétend s’étendre à tous également. On constate de manière générale, chez de très nombreux chrétiens, une profonde confusion entre l’idéal universaliste des Lumières et la vérité de la charité fraternelle universelle des chrétiens. On est en droit en effet de se demander si pour être viable, le comportement moral n’exige pas quelque forme de ségrégation – au sens le plus neutre. Un cercle plus étroit ne serait-il pas au fond le seul et indispensable moyen d’agir sur l’ensemble ? L’histoire nous montre par ailleurs que le programme des Lumières a été démenti par sa réalisation pratique avec, d’une part l’extrême violence que les révolutionnaires ont exercé sur les non-révolutionnaires, et d’autre part avec le libéralisme des Lumières qui a su se donner dans la franc-maçonnerie son cercle fraternel, ésotérique, fermé et hiérarchisé, au-delà même de beaucoup d’autres groupes.
Achevons notre parcours avec le marxisme. Avec lui, on s’éloigne un peu des Lumières. L’idée de la commune paternité de Dieu n’est pas seulement mise au second plan mais elle est radicalement éliminée. L’idée d’humanité commune a perdu de son importance au profit de la décision en faveur de la communauté socialiste. Il y a un retour net à deux zones morales, plus radicalement séparées que jamais dans l’histoire. L’humanité est divisée en deux groupes opposés. Il faut accepter cette division comme présupposée, division qui dicte la loi de l’agir de chacun. Aimer les uns implique de devoir détester les autres. Mais ce dualisme n’est pas le dernier mot, car la lutte entre les deux parties séparées doit conduire à leur réunification eschatologique dans une société sans classes. Pour le marxisme aussi, la division est une donnée historique, l’histoire aliénant la pure nature. Il ne s’agit pas pour autant, comme avec les Lumières, de remonter à cette nature pure en rêvant de façon nébuleuse à la fraternité universelle, mais de parvenir à l’unité en combattant durement dans la perspective du but à atteindre. Le but est une fraternité sans distinction mais qui doit passer historiquement par le chemin d’une fraternité limitée au parti socialiste.
Dans un premier temps, l’idéal fraternel des Grecs était celui de la cité. Était frère le concitoyen. Mais le temps de la décadence de la cité a donné naissance à d’autres types de communautés de type religieux – en particulier sous l’influence des cultes orientaux. Les membres de ces cultes sont frères en raison de leur Dieu commun. On observe ainsi jusque dans le judaïsme la création de sectes – les Esséniens par exemple – opérant une séparation stricte d’avec le reste du monde, en raison du désir de communauté plus restreinte. La fraternité qui naît n’est pas seulement la conséquence d’un choix personnel d’entrer dans telle ou telle communauté mais devient une réalité quasi-mystique et ontologique – c’est-à-dire transformant l’être de la personne – en raison des rites célébrés dans ces types de sociétés à mystères. Ces sectes introduisent une grande séparation avec l’extérieur et donc une double morale, la morale vécue entre ceux qui sont à l’intérieur impliquant même parfois des procédés criminels à l’extérieur.
Selon une tendance totalement opposée, on trouve le stoïcisme d’Épictète, Sénèque, ou Marc-Aurèle, qui va dans le sens d’un universalisme : tous les hommes sont frères en raison d’un père commun – réalité impersonnelle et cosmique – et les initiés, loin de rejeter les autres hommes portent même devant le Père les frères non-initiés qui s’ignorent.
En avançant à grand pas, nous voici arrivés aux Lumières qui reçoivent l’héritage de la fraternité unique et universelle des stoïciens et la systématisent. Mais avec eux s’opère un glissement : en effet que la qualité de frère tire son origine de la paternité commune de Dieu passe au second plan chez les Lumières. La fraternité universelle est considérée d’en-bas. Elle vient de l’égalité d’origine et de nature de tous les hommes. Les Lumières ont recours, par-delà l’histoire, à la nature, une nature présupposée à l’histoire elle-même. Toutes les différences entre les hommes viennent d’une situation de fait, de l’arbitraire de l’histoire. Il faut donc faire triompher la nature originelle contre les stupéfactions de l’histoire. La qualité de frère ainsi ne pose plus deux ordres de morale. Toutes les barrières sont détruites et le comportement moral est le même pour tous. Cela a un grand prix mais aussi un grand coût : le sentiment fraternel étendu démesurément devient irréel et vide de sens. On ne peut plus prendre au sérieux un sentiment fraternel qui prétend s’étendre à tous également. On constate de manière générale, chez de très nombreux chrétiens, une profonde confusion entre l’idéal universaliste des Lumières et la vérité de la charité fraternelle universelle des chrétiens. On est en droit en effet de se demander si pour être viable, le comportement moral n’exige pas quelque forme de ségrégation – au sens le plus neutre. Un cercle plus étroit ne serait-il pas au fond le seul et indispensable moyen d’agir sur l’ensemble ? L’histoire nous montre par ailleurs que le programme des Lumières a été démenti par sa réalisation pratique avec, d’une part l’extrême violence que les révolutionnaires ont exercé sur les non-révolutionnaires, et d’autre part avec le libéralisme des Lumières qui a su se donner dans la franc-maçonnerie son cercle fraternel, ésotérique, fermé et hiérarchisé, au-delà même de beaucoup d’autres groupes.
Achevons notre parcours avec le marxisme. Avec lui, on s’éloigne un peu des Lumières. L’idée de la commune paternité de Dieu n’est pas seulement mise au second plan mais elle est radicalement éliminée. L’idée d’humanité commune a perdu de son importance au profit de la décision en faveur de la communauté socialiste. Il y a un retour net à deux zones morales, plus radicalement séparées que jamais dans l’histoire. L’humanité est divisée en deux groupes opposés. Il faut accepter cette division comme présupposée, division qui dicte la loi de l’agir de chacun. Aimer les uns implique de devoir détester les autres. Mais ce dualisme n’est pas le dernier mot, car la lutte entre les deux parties séparées doit conduire à leur réunification eschatologique dans une société sans classes. Pour le marxisme aussi, la division est une donnée historique, l’histoire aliénant la pure nature. Il ne s’agit pas pour autant, comme avec les Lumières, de remonter à cette nature pure en rêvant de façon nébuleuse à la fraternité universelle, mais de parvenir à l’unité en combattant durement dans la perspective du but à atteindre. Le but est une fraternité sans distinction mais qui doit passer historiquement par le chemin d’une fraternité limitée au parti socialiste.
"NOTRE PÈRE", QUELLE FRATERNITÉ : LE MOT FRÈRE DANS LA BOUCHE DE JÉSUS 15 avril 2018
A la lecture des évangiles on observe que le terme « frère » a un triple sens dans la bouche de Jésus. Il désigne tout d’abord le coreligionnaire juif – surtout dans l’évangile de Matthieu. Ensuite le terme coïncide avec la notion de « frère » propre aux rabbins, aimant à appeler ainsi leurs disciples – affermis tes frères, allez dire à mes frères, ne donnez à personne le titre de Rabbi car vous êtes tous frères-. Ainsi toute différence entre les hommes est supprimée devant la rencontre avec le seul grand : le Christ. Enfin le troisième sens relève d’un langage typiquement chrétien : frère se rapport alors à une parenté spirituelle dans la soumission à Dieu qui prend la place de la consanguinité. On voit la différence ici avec l’idéologie des Lumières et la fraternité universelle des stoïciens. La fraternité n’est plus une réalité d’ordre naturel, un phénomène originel de nature mais elle repose sur une décision spirituelle, sur le oui à la volonté de Dieu. Une nouvelle parenté se crée pour le missionnaire avec tous ceux qu’il a amenés à la foi et qui la partagent avec lui.
Un quatrième sens apparaît de manière surprenante avec la parabole du jugement dernier de Mt 25 : les frères ici ne sont pas nécessairement ceux qui croient, ils ne sont pas non plus tous les hommes, indistinctement comme on le dit à tort bien souvent, mais les frères sont seulement ici les nécessiteux. Le Christ est représenté d’une manière particulière en eux. La communauté avec eux n’est plus fondée sur la décision et la foi mais sur la bassesse et le besoin. Mon prochain n’est pas seulement celui qui croit au Christ avec moi, mais le premier malheureux rencontré qui est un frère du maître. On peut alors tout de même se demander si on ne reviendrait-on pas à l’idée du frère chez les Lumières ? Eh bien, non, car si l’ouverture universelle est la même, l’idée de fraternité est ici fondée sur la christologie et cela crée en face de celle des Lumières une toute autre atmosphère spirituelle. D’autre part, on ne peut pas non plus isoler ce texte des autres : ainsi à côté de lui, demeurent tout de même les autres textes qui conservent l’idée d’une fraternité plus ou moins close.
A la lecture des évangiles on observe que le terme « frère » a un triple sens dans la bouche de Jésus. Il désigne tout d’abord le coreligionnaire juif – surtout dans l’évangile de Matthieu. Ensuite le terme coïncide avec la notion de « frère » propre aux rabbins, aimant à appeler ainsi leurs disciples – affermis tes frères, allez dire à mes frères, ne donnez à personne le titre de Rabbi car vous êtes tous frères-. Ainsi toute différence entre les hommes est supprimée devant la rencontre avec le seul grand : le Christ. Enfin le troisième sens relève d’un langage typiquement chrétien : frère se rapport alors à une parenté spirituelle dans la soumission à Dieu qui prend la place de la consanguinité. On voit la différence ici avec l’idéologie des Lumières et la fraternité universelle des stoïciens. La fraternité n’est plus une réalité d’ordre naturel, un phénomène originel de nature mais elle repose sur une décision spirituelle, sur le oui à la volonté de Dieu. Une nouvelle parenté se crée pour le missionnaire avec tous ceux qu’il a amenés à la foi et qui la partagent avec lui.
Un quatrième sens apparaît de manière surprenante avec la parabole du jugement dernier de Mt 25 : les frères ici ne sont pas nécessairement ceux qui croient, ils ne sont pas non plus tous les hommes, indistinctement comme on le dit à tort bien souvent, mais les frères sont seulement ici les nécessiteux. Le Christ est représenté d’une manière particulière en eux. La communauté avec eux n’est plus fondée sur la décision et la foi mais sur la bassesse et le besoin. Mon prochain n’est pas seulement celui qui croit au Christ avec moi, mais le premier malheureux rencontré qui est un frère du maître. On peut alors tout de même se demander si on ne reviendrait-on pas à l’idée du frère chez les Lumières ? Eh bien, non, car si l’ouverture universelle est la même, l’idée de fraternité est ici fondée sur la christologie et cela crée en face de celle des Lumières une toute autre atmosphère spirituelle. D’autre part, on ne peut pas non plus isoler ce texte des autres : ainsi à côté de lui, demeurent tout de même les autres textes qui conservent l’idée d’une fraternité plus ou moins close.
"NOTRE PÈRE", QUELLE FRATERNITÉ : LA FRATERNITÉ CHEZ PAUL 22 avril 2018
Avec saint Paul, on observe que l’autonomie du christianisme par rapport au judaïsme s’exprime entre autre dans la notion proprement chrétienne du frère. Le frère est le fidèle chrétien, et l’expression « faux-frères » marque ainsi clairement les limites de la fraternité chrétienne. La notion de frère a un fort enracinement théologique, c’est-à-dire qu’elle est profondément liée à la compréhension de qui est Dieu et de Son œuvre de salut. Ainsi chez Paul, l’idée de paternité est développée en un sens trinitaire. La paternité de Dieu concerne d’abord le Fils et nous par Lui, parce que Son Esprit est en nous et dit en nous « Père ». La paternité de Dieu est une paternité dont le Fils est médiateur dans l’Esprit. Dieu est d’abord Père du Christ, mais nous sommes dans le Christ par le Saint-Esprit. La paternité et la fraternité acquièrent ainsi une plénitude de signification. Elles ne sont plus seulement le fait de l’acte volontaire de l’élection par Dieu, mais elles désignent une réalité nouvelle, une nouvelle unité dans l’être, entre Dieu et les hommes et pour les hommes entre eux.
On a vu que chez les Juifs, la notion de fraternité est tenue par en haut par l’idée de Dieu-Père – source divine de la fraternité humaine car Père de tous – et par en bas par la doctrine relative à Adam, Noé, Abraham, comme souche humaine commune de toute l’humanité. Toute cette perspective est repensée dans le Christ qui est le Nouvel Adam, Père d’une nouvelle humanité. Avec le Christ paraît une nouvelle et meilleure humanité, un nouvel être homme, et par là une nouvelle fraternité humaine qui remplace l’ancienne, un nouveau lien à Dieu et un nouveau lien pour les hommes entre eux. L’ancienne communauté n’a été qu’une communauté dans le mal ; seule la fraternité nouvelle qui tend à l’universalité effective comporte une véritable unité dans le salut. On constate donc qu’il y a avec Paul, dans l’intérêt unique qu’il a pour le second et non pour le premier Adam, une critique décisive des Lumières et de l’idée qu’elles se font de l’humanité. La fraternité de Paul, non encore universelle doit le devenir. Tous les hommes ne sont pas encore frères dans le Christ mais ils peuvent et doivent le devenir.
Avec sa tendance universaliste, la doctrine paulinienne contient une certaine limitation de la fraternité de fait, qui ne peut plus s’entendre désormais comme une fraternité close mais seulement comme une fraternité ouverte. On le voit en particulier avec la conception nouvelle de la doctrine sur Abraham. Les vrais enfants d’Abraham sont ceux qui ont la foi et non la chair d’Abraham. Aux frontières nationales, succèdent ici les frontières spirituelles.
La communauté paulinienne n’est pas celle des cultes à mystères mais revendique au contraire une vie au grand jour. Elle prétend être la cellule initiale de la nouvelle humanité. Tout homme peut devenir chrétien, mais celui-là seul qui le devient est effectivement frère. Tout homme mérite qu’on lui témoigne de l’agapè, de l’amour, mais au seul frère chrétien revient la philadelphia, l’amour fraternel. Il y a un esprit d’amour fraternel qui dans le cercle étroit dépasse celui de la charité pour tous. On lit ainsi « Pratiquons le bien à l’égard de tous, et surtout de nos frères dans la foi » (Ga 6,10). Ou bien « Honorez tout le monde, aimez les frères » (1 P2,17).
Dans cette fraternité, toutes les précédentes barrières sont abolies – juifs, païens, esclave, homme libre, homme, femme, mais en plus, dans la fraternité restreinte, se crée un lien réel, là où dans l’idée d’humanité universelle la notion de frère reste un idéal vide.
Avec saint Paul, on observe que l’autonomie du christianisme par rapport au judaïsme s’exprime entre autre dans la notion proprement chrétienne du frère. Le frère est le fidèle chrétien, et l’expression « faux-frères » marque ainsi clairement les limites de la fraternité chrétienne. La notion de frère a un fort enracinement théologique, c’est-à-dire qu’elle est profondément liée à la compréhension de qui est Dieu et de Son œuvre de salut. Ainsi chez Paul, l’idée de paternité est développée en un sens trinitaire. La paternité de Dieu concerne d’abord le Fils et nous par Lui, parce que Son Esprit est en nous et dit en nous « Père ». La paternité de Dieu est une paternité dont le Fils est médiateur dans l’Esprit. Dieu est d’abord Père du Christ, mais nous sommes dans le Christ par le Saint-Esprit. La paternité et la fraternité acquièrent ainsi une plénitude de signification. Elles ne sont plus seulement le fait de l’acte volontaire de l’élection par Dieu, mais elles désignent une réalité nouvelle, une nouvelle unité dans l’être, entre Dieu et les hommes et pour les hommes entre eux.
On a vu que chez les Juifs, la notion de fraternité est tenue par en haut par l’idée de Dieu-Père – source divine de la fraternité humaine car Père de tous – et par en bas par la doctrine relative à Adam, Noé, Abraham, comme souche humaine commune de toute l’humanité. Toute cette perspective est repensée dans le Christ qui est le Nouvel Adam, Père d’une nouvelle humanité. Avec le Christ paraît une nouvelle et meilleure humanité, un nouvel être homme, et par là une nouvelle fraternité humaine qui remplace l’ancienne, un nouveau lien à Dieu et un nouveau lien pour les hommes entre eux. L’ancienne communauté n’a été qu’une communauté dans le mal ; seule la fraternité nouvelle qui tend à l’universalité effective comporte une véritable unité dans le salut. On constate donc qu’il y a avec Paul, dans l’intérêt unique qu’il a pour le second et non pour le premier Adam, une critique décisive des Lumières et de l’idée qu’elles se font de l’humanité. La fraternité de Paul, non encore universelle doit le devenir. Tous les hommes ne sont pas encore frères dans le Christ mais ils peuvent et doivent le devenir.
Avec sa tendance universaliste, la doctrine paulinienne contient une certaine limitation de la fraternité de fait, qui ne peut plus s’entendre désormais comme une fraternité close mais seulement comme une fraternité ouverte. On le voit en particulier avec la conception nouvelle de la doctrine sur Abraham. Les vrais enfants d’Abraham sont ceux qui ont la foi et non la chair d’Abraham. Aux frontières nationales, succèdent ici les frontières spirituelles.
La communauté paulinienne n’est pas celle des cultes à mystères mais revendique au contraire une vie au grand jour. Elle prétend être la cellule initiale de la nouvelle humanité. Tout homme peut devenir chrétien, mais celui-là seul qui le devient est effectivement frère. Tout homme mérite qu’on lui témoigne de l’agapè, de l’amour, mais au seul frère chrétien revient la philadelphia, l’amour fraternel. Il y a un esprit d’amour fraternel qui dans le cercle étroit dépasse celui de la charité pour tous. On lit ainsi « Pratiquons le bien à l’égard de tous, et surtout de nos frères dans la foi » (Ga 6,10). Ou bien « Honorez tout le monde, aimez les frères » (1 P2,17).
Dans cette fraternité, toutes les précédentes barrières sont abolies – juifs, païens, esclave, homme libre, homme, femme, mais en plus, dans la fraternité restreinte, se crée un lien réel, là où dans l’idée d’humanité universelle la notion de frère reste un idéal vide.
"NOTRE PÈRE", QUELLE FRATERNITÉ : FRÈRES PARCE QUE VIVANT DANS LE CHRIST 29 avril 2018
La fraternité chrétienne est avant tout fondée sur la paternité universelle de Dieu. Pas impersonnelle comme le Portique, ni vague et indécise comme les Lumières, la paternité de Dieu est une paternité dont le Fils est médiateur, incluant le Fils dans l’unité fraternelle. Pour que la fraternité chrétienne devienne une réalité vivante, il est nécessaire qu’y soient vécues la connaissance de la paternité de Dieu et l’unité par grâce avec le Christ Jésus.
On l’a vu au commencement de notre réflexion sur le Notre Père. La paternité chrétienne est unique. Ce n’est pas celle de la pensée mythique qui voit dans le ciel la puissance génératrice primitive qui, unie à la terre mère, produit la vie du monde, ni celle de la philosophie grecque qui spiritualise cette représentation sans lui enlever sa teneur fondamentale qui est d’être impersonnelle et idéelle (cf. l’idée éternelle et transcendante du Bien comme Père chez Platon). On voit même un retour au naturalisme dans le stoïcisme. Jamais l’homme n’est confronté à un Dieu-Père personnel, attentif, aimant. Le Père n’est que le sommet du cosmos. Il n’y a pas de notion non cosmique et personnaliste du Père, la seule qui en définitive donne à cette paternité de Dieu une exigence réelle et donc à la fraternité de ses enfants une véritable vie et une signification.
Cette notion-là ne se révèle que dans la bible et ne se découvre qu’aux yeux de la foi. Voir que les hommes sont frères n’est accordé qu’à celui qui dans la foi a entrevu la plénitude de la paternité divine. Le Dieu de la bible n’est pas le Dieu des philosophes mais celui des vivants, celui de Jésus-Christ. En Jésus-Christ, Dieu n’a pas seulement interpelé les hommes, il s’est mis à portée de leur appel, devenant homme et se mêlant ainsi au dialogue des hommes. Dieu entre dans la communauté de dialogue qui unit tous les hommes dans une réciprocité d’êtres de la même condition. Remarquons tout de même que dans les évangiles, le titre de Fils de Dieu désigne chez Jésus non son être intra-trinitaire mais sa réalité de Messie roi, représentant tout Israël. On sait en effet que dans l’Ancien Testament le peuple d’Israël en son entier était appelé fils de Dieu, en vertu de l’élection. On sait aussi que le roi, comme figure incarnant tout le peuple, recevait lui-aussi au nom de cette représentation du peuple le nom de fils de Dieu. Le roi, qui était l’oint, le messie, était donc fils de Dieu. Mais, malgré ces appellations, le peuple était dans l’attente du véritable Messie, vrai fils de Dieu, qui serait le roi d’Israël et conduirait son peuple à la paix. Et voici que Jésus est le véritable Messie, le véritable roi, le vrai Fils de Dieu. Il est au sens plein le vrai Israël, vraiment et davantage Fils que le peuple et le roi. Mais il est celui qui vrai Fils dans son être, véritable messie et roi, représente tous les hommes, et vient justement, en tant qu’il nous représente tous, pour partager cette filiation. Il vient pour faire de nous des fils et des frères.
A partir de là on comprend qu’appeler Dieu Père n’est pas un simple sentiment amoureux du cœur à l’égard de Dieu. La disposition d’amour confiant et de pur dévouement, cela peut se trouver dans les prières du judaïsme. Il ne s’agit au fond que d’un état d’âme. Ce qu’il y a de neuf dans l’usage du mot « Père » par le Nouveau-Testament, ce n’est pas un nouvel état d’âme, ce n’est pas une nouvelle intimité subjective ; ce n’est pas une idée nouvelle, c’est un fait nouveau dont le Christ est l’auteur. Ce fait est notre incorporation au Christ, source de notre véritable dignité de fils. Ce qui est valable pour les notions de paternité et de filiation vaut tout autant pour celle de fraternité. Celle-ci est fondée sur notre état d’incorporation au Christ Jésus, sur l’unicité du seul homme nouveau. La qualité de frère chrétien est élevée par-delà le domaine des idées, à la dignité d’une authentique réalité, qui s’est réalisée de fait, et continue à se réaliser, dans l’événement qui concerne le Christ. L’acte qui produit cette incorporation est d’abord le baptême – revivifié dans la pénitence. La consommation de notre unité physique toujours nouvelle est la célébration eucharistique. La réalité qui sert de base au sentiment chrétien de fraternité, et qui est au centre de la discipline chrétienne et du nouveau peuple, est donc le repas fraternel de l’eucharistie. La fraternité chrétienne se distingue ainsi de toutes les autres, par son caractère de réalité au sens strict, réalité saisie dans la foi, réalité assimilée dans les sacrements.
C’est donc dans le baptême – on le voit en particulier dans la théologie des Pères – qu’on accède à la qualité de frère. La régénération – dont Dieu est Père et l’Église mère – est le moyen d’accéder à la fraternité chrétienne. Avec cette compréhension existe toujours le risque d’assimilation de la religion chrétienne aux religions à mystères et donc aussi de repliement sur soi de la communauté, ce qui peut expliquer la persécution subie par les chrétiens et qui a pu contribuer à la fortification de la cohésion interne du groupe. L’Église persécutée est cependant toujours restée ouverte missionnaire. Dans le martyre a toujours éclaté le témoignage d’un sentiment fraternel même pour les bourreaux. On voit ainsi en résumé que le sentiment fraternel repose d’un côté sur la communauté d’origine qui unit tous les hommes et de l’autre sur la confession commune de Dieu et du fait de s’abreuver ensemble de l’Esprit de sainteté.
Le Christ n’a pas appris à dire Père ; il nous a appris à dire "Notre Père". En d’autres termes, l’accueil de la paternité de Dieu doit comprendre le consentement à la communauté des frères. Dire Notre Père implique la conscience du développement nécessaire et simultané d’une double relation : relation de foi à Dieu impliquant confiance et amour au Dieu fidèle qui a maintenu son alliance au-delà de nos infidélités, jusqu’à faire de nous ses fils et filles ; relation au frère impliquant l’oubli de soi. Devenir chrétien, c’est être incorporé au Christ, devenir fils dans le fils. Entrer dans le Christ, ça signifie sortir de son moi propre ; détruire la tendance qui fait du moi un absolu.
Devenir un homme unique et nouveau dans le Christ implique de faire brèche au particularisme du moi individuant, à l’affirmation autonome de l’égoïsme naturel. Jésus n’est pas seulement un modèle moral à imiter en privé ; mais celui qui croit en Jésus doit briser les limites de son moi privé, dans l’unité du Corps du Christ. La vraie morale chrétienne est une morale du dépouillement, une morale du corps du Christ et donc celle d’une fraternité nécessaire.
La fraternité chrétienne est avant tout fondée sur la paternité universelle de Dieu. Pas impersonnelle comme le Portique, ni vague et indécise comme les Lumières, la paternité de Dieu est une paternité dont le Fils est médiateur, incluant le Fils dans l’unité fraternelle. Pour que la fraternité chrétienne devienne une réalité vivante, il est nécessaire qu’y soient vécues la connaissance de la paternité de Dieu et l’unité par grâce avec le Christ Jésus.
On l’a vu au commencement de notre réflexion sur le Notre Père. La paternité chrétienne est unique. Ce n’est pas celle de la pensée mythique qui voit dans le ciel la puissance génératrice primitive qui, unie à la terre mère, produit la vie du monde, ni celle de la philosophie grecque qui spiritualise cette représentation sans lui enlever sa teneur fondamentale qui est d’être impersonnelle et idéelle (cf. l’idée éternelle et transcendante du Bien comme Père chez Platon). On voit même un retour au naturalisme dans le stoïcisme. Jamais l’homme n’est confronté à un Dieu-Père personnel, attentif, aimant. Le Père n’est que le sommet du cosmos. Il n’y a pas de notion non cosmique et personnaliste du Père, la seule qui en définitive donne à cette paternité de Dieu une exigence réelle et donc à la fraternité de ses enfants une véritable vie et une signification.
Cette notion-là ne se révèle que dans la bible et ne se découvre qu’aux yeux de la foi. Voir que les hommes sont frères n’est accordé qu’à celui qui dans la foi a entrevu la plénitude de la paternité divine. Le Dieu de la bible n’est pas le Dieu des philosophes mais celui des vivants, celui de Jésus-Christ. En Jésus-Christ, Dieu n’a pas seulement interpelé les hommes, il s’est mis à portée de leur appel, devenant homme et se mêlant ainsi au dialogue des hommes. Dieu entre dans la communauté de dialogue qui unit tous les hommes dans une réciprocité d’êtres de la même condition. Remarquons tout de même que dans les évangiles, le titre de Fils de Dieu désigne chez Jésus non son être intra-trinitaire mais sa réalité de Messie roi, représentant tout Israël. On sait en effet que dans l’Ancien Testament le peuple d’Israël en son entier était appelé fils de Dieu, en vertu de l’élection. On sait aussi que le roi, comme figure incarnant tout le peuple, recevait lui-aussi au nom de cette représentation du peuple le nom de fils de Dieu. Le roi, qui était l’oint, le messie, était donc fils de Dieu. Mais, malgré ces appellations, le peuple était dans l’attente du véritable Messie, vrai fils de Dieu, qui serait le roi d’Israël et conduirait son peuple à la paix. Et voici que Jésus est le véritable Messie, le véritable roi, le vrai Fils de Dieu. Il est au sens plein le vrai Israël, vraiment et davantage Fils que le peuple et le roi. Mais il est celui qui vrai Fils dans son être, véritable messie et roi, représente tous les hommes, et vient justement, en tant qu’il nous représente tous, pour partager cette filiation. Il vient pour faire de nous des fils et des frères.
A partir de là on comprend qu’appeler Dieu Père n’est pas un simple sentiment amoureux du cœur à l’égard de Dieu. La disposition d’amour confiant et de pur dévouement, cela peut se trouver dans les prières du judaïsme. Il ne s’agit au fond que d’un état d’âme. Ce qu’il y a de neuf dans l’usage du mot « Père » par le Nouveau-Testament, ce n’est pas un nouvel état d’âme, ce n’est pas une nouvelle intimité subjective ; ce n’est pas une idée nouvelle, c’est un fait nouveau dont le Christ est l’auteur. Ce fait est notre incorporation au Christ, source de notre véritable dignité de fils. Ce qui est valable pour les notions de paternité et de filiation vaut tout autant pour celle de fraternité. Celle-ci est fondée sur notre état d’incorporation au Christ Jésus, sur l’unicité du seul homme nouveau. La qualité de frère chrétien est élevée par-delà le domaine des idées, à la dignité d’une authentique réalité, qui s’est réalisée de fait, et continue à se réaliser, dans l’événement qui concerne le Christ. L’acte qui produit cette incorporation est d’abord le baptême – revivifié dans la pénitence. La consommation de notre unité physique toujours nouvelle est la célébration eucharistique. La réalité qui sert de base au sentiment chrétien de fraternité, et qui est au centre de la discipline chrétienne et du nouveau peuple, est donc le repas fraternel de l’eucharistie. La fraternité chrétienne se distingue ainsi de toutes les autres, par son caractère de réalité au sens strict, réalité saisie dans la foi, réalité assimilée dans les sacrements.
C’est donc dans le baptême – on le voit en particulier dans la théologie des Pères – qu’on accède à la qualité de frère. La régénération – dont Dieu est Père et l’Église mère – est le moyen d’accéder à la fraternité chrétienne. Avec cette compréhension existe toujours le risque d’assimilation de la religion chrétienne aux religions à mystères et donc aussi de repliement sur soi de la communauté, ce qui peut expliquer la persécution subie par les chrétiens et qui a pu contribuer à la fortification de la cohésion interne du groupe. L’Église persécutée est cependant toujours restée ouverte missionnaire. Dans le martyre a toujours éclaté le témoignage d’un sentiment fraternel même pour les bourreaux. On voit ainsi en résumé que le sentiment fraternel repose d’un côté sur la communauté d’origine qui unit tous les hommes et de l’autre sur la confession commune de Dieu et du fait de s’abreuver ensemble de l’Esprit de sainteté.
Le Christ n’a pas appris à dire Père ; il nous a appris à dire "Notre Père". En d’autres termes, l’accueil de la paternité de Dieu doit comprendre le consentement à la communauté des frères. Dire Notre Père implique la conscience du développement nécessaire et simultané d’une double relation : relation de foi à Dieu impliquant confiance et amour au Dieu fidèle qui a maintenu son alliance au-delà de nos infidélités, jusqu’à faire de nous ses fils et filles ; relation au frère impliquant l’oubli de soi. Devenir chrétien, c’est être incorporé au Christ, devenir fils dans le fils. Entrer dans le Christ, ça signifie sortir de son moi propre ; détruire la tendance qui fait du moi un absolu.
Devenir un homme unique et nouveau dans le Christ implique de faire brèche au particularisme du moi individuant, à l’affirmation autonome de l’égoïsme naturel. Jésus n’est pas seulement un modèle moral à imiter en privé ; mais celui qui croit en Jésus doit briser les limites de son moi privé, dans l’unité du Corps du Christ. La vraie morale chrétienne est une morale du dépouillement, une morale du corps du Christ et donc celle d’une fraternité nécessaire.
"NOTRE PÈRE", QUELLE FRATERNITÉ : TOUS FRÈRES ? ET LA HIÉRARCHIE ? 6 mai 2018
On a vu un peu plus haut avec saint Paul que ce qui s’opérait dans le christianisme était la suppression de toutes les frontières entre les hommes. « Désormais nous ne connaissons plus personne selon la chair, nous ne le connaissons plus ainsi à présent. Si donc quelqu’un est dans le Christ, c’est une création nouvelle ; l’être ancien a disparu, un être nouveau est là » (2 Co 5,16-17). Devant la réalité bouleversante de cette nouvelle création, toutes les divisions anciennes ne comptent plus. (Ep 2, 12-17) Le mystère du Christ, c’est le mystère de frontières supprimées : « Vous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ : il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus ni homme, ni femme ; car tous vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3,27-28). Ainsi, « il n’y a que le Christ qui est tout en tous »(Col 3,10-11). Ne demeure plus que la différence créateur-créature, devant laquelle toutes les autres différences se réduisent à rien.
On peut alors légitimement se demander pourquoi demeure la différence hiérarchique au sein même de l’Eglise, qui devrait précisément être le lieu d’abolition de toutes les différences pour vivre dans l’unité du Christ. Et en effet la hiérarchie doit être toujours soumise à la phrase de l’Evangile de Mt 23,8-11 : « Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ. Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. » En effet, par ces mots le Christ invite à supprimer toutes les formes de dignité extérieure, que l’on rencontrait dans le judaïsme, pour retrouver l’idéal de la communauté fraternelle. Seul Dieu peut vraiment être Père spirituel.
Cependant, qui lit le Nouveau Testament, ne peut que constater qu’il existe bien un ministère néotestamentaire, investi d’un pouvoir, distinct du fidèle sans mandat. Il y a dans le Nouveau Testament une hiérarchie et un ministère sacerdotal. Mais le prêtre dans le Nouveau-Testament n’est jamais détenteur de ce ministère : pour lui pas d’exousia, d’arxè, de telos ou de timè (expressions grecques marquant le pouvoir, expressions qui sont réservées aux autorités de la synagogue), mais la diakonia, qui signifie le service. Il n’y a dans l’Église d’autre ministère que le service. Le sacerdoce chrétien ne peut être identifié en rien à celui des autres même si dans ses manifestations extérieures il peut leur ressembler. D’ailleurs, le sacrement propre dans l’Eglise s’appelle ordre et non sacerdoce. Ainsi tout apôtre même revêtu d’une certaine autorité reste et demeure disciple du Christ. Être disciple n’est pas pour lui un commencement avant de devenir à son tour maître, mais c’est un achèvement, un accomplissement. Le ministère paternel dont il est investi n’est jamais un gage de pouvoir et de dignité, mais est toujours compris comme une forme du service fraternel et donc de l’unité.
On a vu un peu plus haut avec saint Paul que ce qui s’opérait dans le christianisme était la suppression de toutes les frontières entre les hommes. « Désormais nous ne connaissons plus personne selon la chair, nous ne le connaissons plus ainsi à présent. Si donc quelqu’un est dans le Christ, c’est une création nouvelle ; l’être ancien a disparu, un être nouveau est là » (2 Co 5,16-17). Devant la réalité bouleversante de cette nouvelle création, toutes les divisions anciennes ne comptent plus. (Ep 2, 12-17) Le mystère du Christ, c’est le mystère de frontières supprimées : « Vous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ : il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus ni homme, ni femme ; car tous vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3,27-28). Ainsi, « il n’y a que le Christ qui est tout en tous »(Col 3,10-11). Ne demeure plus que la différence créateur-créature, devant laquelle toutes les autres différences se réduisent à rien.
On peut alors légitimement se demander pourquoi demeure la différence hiérarchique au sein même de l’Eglise, qui devrait précisément être le lieu d’abolition de toutes les différences pour vivre dans l’unité du Christ. Et en effet la hiérarchie doit être toujours soumise à la phrase de l’Evangile de Mt 23,8-11 : « Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ. Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. » En effet, par ces mots le Christ invite à supprimer toutes les formes de dignité extérieure, que l’on rencontrait dans le judaïsme, pour retrouver l’idéal de la communauté fraternelle. Seul Dieu peut vraiment être Père spirituel.
Cependant, qui lit le Nouveau Testament, ne peut que constater qu’il existe bien un ministère néotestamentaire, investi d’un pouvoir, distinct du fidèle sans mandat. Il y a dans le Nouveau Testament une hiérarchie et un ministère sacerdotal. Mais le prêtre dans le Nouveau-Testament n’est jamais détenteur de ce ministère : pour lui pas d’exousia, d’arxè, de telos ou de timè (expressions grecques marquant le pouvoir, expressions qui sont réservées aux autorités de la synagogue), mais la diakonia, qui signifie le service. Il n’y a dans l’Église d’autre ministère que le service. Le sacerdoce chrétien ne peut être identifié en rien à celui des autres même si dans ses manifestations extérieures il peut leur ressembler. D’ailleurs, le sacrement propre dans l’Eglise s’appelle ordre et non sacerdoce. Ainsi tout apôtre même revêtu d’une certaine autorité reste et demeure disciple du Christ. Être disciple n’est pas pour lui un commencement avant de devenir à son tour maître, mais c’est un achèvement, un accomplissement. Le ministère paternel dont il est investi n’est jamais un gage de pouvoir et de dignité, mais est toujours compris comme une forme du service fraternel et donc de l’unité.
"NOTRE PÈRE", QUELLE FRATERNITÉ : LA FRATERNITÉ EUCHARISTIQUE 13 mai 2018
Bien que destinée à tous les hommes, on a compris que si l’entrée dans la fraternité chrétienne était le baptême et sa réalisation l’eucharistie, alors le christianisme crée à son tour une communauté particulière distincte des autres groupes. Le comportement chrétien présuppose donc une communauté fraternelle avec des limites. Jésus lui-même désigna comme frères et sœurs, non pas tous les hommes indistinctement mais seulement ceux dont la volonté est unie à la sienne pour accepter la volonté paternelle de Dieu. En Mt 25, quand Jésus appelle les tout-petits comme ses frères, il ne se prononce pas sur leur qualité personnelle, mais sur l’exigence de charité dont ils sont toujours l’occasion. Ce sont les douze, choisis par le Christ, qu’il désigne préférentiellement comme frères. Jésus parle aussi en bien des endroits, de la substitution du lien fraternel terrestre au profit d’un lien fraternel nouveau et plus large : la communauté fraternelle des chrétiens. Seuls les chrétiens sont donc frères au sens propres, et les autres sont pour eux ceux du dehors. Voilà l’acception chrétienne de "frère". Tenter d’abolir cette limite est l’œuvre des Lumières. Seulement dans ces limites l’idéal fraternel est réalisable.
Mais qu’en est-il de ce réalisme fraternel concret quand la communauté chrétienne est devenue universelle ? Il faut se rappeler alors que le mot Église désigne prioritairement la manière dont l’unique Église se réalise dans les communautés locales. La fraternité doit d’abord se réaliser dans la communauté locale, concrètement dans chaque paroisse. Dans une paroisse, cet idéal de fraternité doit se réaliser dans l’assemblée cultuelle. En effet le mot "Ekklésia" désigne non seulement l’Église ou la communauté locale mais tout autant l’assemblée cultuelle. L’unique Église trouve sa représentation concrète dans la communauté locale concrète, qui se réalise elle-même en tant qu’Église dans l’assemblée cultuelle, c’est-à-dire avant tout dans la célébration de l’eucharistie.
Parler de fraternité chrétienne implique en conséquence réclamer l’exercice du sentiment fraternel en chacune de ces communautés paroissiales, sentiment qui trouvera sa source et son point d’application dans la célébration de l’eucharistie. L’eucharistie n’est pas tant la rencontre de l’âme avec le Christ, mais la "concorporatio cum Christo", c’est-à-dire l’union des chrétiens en l’unique corps du Seigneur, l’œuvre d’unification des hommes dans et par le Christ. Pour que l’eucharistie devienne source du sentiment fraternel, la célébration eucharistique doit être intérieurement reconnue et accomplie comme sacrement de fraternité et manifester cela dans ses formes extérieures. "Ekklésia et adelphotès", Église et fraternité sont équivalentes. Il faut exiger que l’eucharistie soit célébrée comme un culte fraternel, dans un dialogue responsorial et pas seulement l’action d’un pontife seul devant un troupeau. L’eucharistie doit redevenir visiblement le sacrement fraternel, pour que puisse se déployer toute sa force d’édification communautaire. Il faut donc développer aussi hors de l’eucharistie des formes réadaptées de vie communautaire en dehors de l’église, complétant l’assemblée cultuelle et rendant possible le sentiment fraternel. La division des activités paroissiales en organisations particulières ne doit pas mettre au second plan l’unité plus vaste de la paroisse. Cette expérience de fraternité est vraiment expérience d’universalité, de dépassement des frontières. De même doit être encouragée la connaissance mutuelle des communautés paroissiales, qui dans leur foi et leur amour édifient ensemble l’unité suprême de la Mère-Eglise, le Corps du Seigneur.
Ayant dit cela, vient la question du rapport des communautés fraternelles avec le dehors ? Ces non-frères, ces gens du dehors existent. Mais attention, nous sommes trop facilement enclins à penser tout de suite selon la perspective des Lumières et non selon celle de saint Paul. Toute séparation nous paraît suspecte, et pourtant la séparation chrétienne favorise en définitive une ouverture universelle. Mais auparavant il faut commencer par séparer, par former une communauté fraternelle concrète, définie, saisissable, rendant réalisable cette totalité qui n’est d’abord qu’une rêverie. Paul parle ainsi d’une attitude à la fois d’ouverture – quand le plein exercice de la charité est réclamé, quand il faut prier pour les hommes, respecter une autorité non-chrétienne, se montrer bienfaiteur pour le monde – et aussi de prise de distance à l’égard de ceux du dehors. Paul considère comme n’étant pas l’affaire du chrétien de juger de l’état moral subjectif de ceux qui sont hors de la communauté (1 Co 5,12-13). Il invite cependant à une prudence dans la relation à leur égard pour ne pas déchoir avec eux. Il s’agit de ne pas s’associer avec eux, ni les choisir pour habituels compagnons de société, au-delà de l’accomplissement de tous les devoirs de charité et devoirs légaux. Quid des baptisés non pratiquants ? Paul parle des pseudoadelphoi, des pseudo-frères, ceux qui n’ont pas l’esprit du Christ et ne lui appartiennent pas. Ce n’est qu’en participant à l’assemblée cultuelle eucharistique qu’on devient au sens propre membre de la communauté fraternelle chrétienne. Si on n’y prend pas part, on ne peut être compté comme membre de la fraternité comme telle. La définition paulinienne de la communauté fraternelle des chrétiens comprend uniquement ceux qui participent régulièrement à la célébration. C’est la seule définition réaliste. Ce n’est qu’à partir d’elle qu’on peut avoir l’espoir fondé de réaliser effectivement une communauté fraternelle consciente. Il ne s’agit pas de ne plus tenir compte des baptisés non pratiquants, qui ont perdu la foi vive et la participation immédiate à la fraternité chrétienne. Il faut seulement se libérer d’une illusion dangereuse, illusion qui nous empêcherait de mesurer exactement les devoirs qu’on a envers ceux dont on devrait être le frère et dont on l’est hélas trop peu. A l’égard des baptisés non pratiquants il faut user de bonté loyale dans l’enseignement et l’exhortation, leur porter infatigablement la lumière du Christ et rompre tout commerce en cas seulement d’extrême nécessité avec exclusion formelle de la communauté. Le but restant toujours l’amendement, le retour complet dans la communauté fraternelle des chrétiens.
Bien que destinée à tous les hommes, on a compris que si l’entrée dans la fraternité chrétienne était le baptême et sa réalisation l’eucharistie, alors le christianisme crée à son tour une communauté particulière distincte des autres groupes. Le comportement chrétien présuppose donc une communauté fraternelle avec des limites. Jésus lui-même désigna comme frères et sœurs, non pas tous les hommes indistinctement mais seulement ceux dont la volonté est unie à la sienne pour accepter la volonté paternelle de Dieu. En Mt 25, quand Jésus appelle les tout-petits comme ses frères, il ne se prononce pas sur leur qualité personnelle, mais sur l’exigence de charité dont ils sont toujours l’occasion. Ce sont les douze, choisis par le Christ, qu’il désigne préférentiellement comme frères. Jésus parle aussi en bien des endroits, de la substitution du lien fraternel terrestre au profit d’un lien fraternel nouveau et plus large : la communauté fraternelle des chrétiens. Seuls les chrétiens sont donc frères au sens propres, et les autres sont pour eux ceux du dehors. Voilà l’acception chrétienne de "frère". Tenter d’abolir cette limite est l’œuvre des Lumières. Seulement dans ces limites l’idéal fraternel est réalisable.
Mais qu’en est-il de ce réalisme fraternel concret quand la communauté chrétienne est devenue universelle ? Il faut se rappeler alors que le mot Église désigne prioritairement la manière dont l’unique Église se réalise dans les communautés locales. La fraternité doit d’abord se réaliser dans la communauté locale, concrètement dans chaque paroisse. Dans une paroisse, cet idéal de fraternité doit se réaliser dans l’assemblée cultuelle. En effet le mot "Ekklésia" désigne non seulement l’Église ou la communauté locale mais tout autant l’assemblée cultuelle. L’unique Église trouve sa représentation concrète dans la communauté locale concrète, qui se réalise elle-même en tant qu’Église dans l’assemblée cultuelle, c’est-à-dire avant tout dans la célébration de l’eucharistie.
Parler de fraternité chrétienne implique en conséquence réclamer l’exercice du sentiment fraternel en chacune de ces communautés paroissiales, sentiment qui trouvera sa source et son point d’application dans la célébration de l’eucharistie. L’eucharistie n’est pas tant la rencontre de l’âme avec le Christ, mais la "concorporatio cum Christo", c’est-à-dire l’union des chrétiens en l’unique corps du Seigneur, l’œuvre d’unification des hommes dans et par le Christ. Pour que l’eucharistie devienne source du sentiment fraternel, la célébration eucharistique doit être intérieurement reconnue et accomplie comme sacrement de fraternité et manifester cela dans ses formes extérieures. "Ekklésia et adelphotès", Église et fraternité sont équivalentes. Il faut exiger que l’eucharistie soit célébrée comme un culte fraternel, dans un dialogue responsorial et pas seulement l’action d’un pontife seul devant un troupeau. L’eucharistie doit redevenir visiblement le sacrement fraternel, pour que puisse se déployer toute sa force d’édification communautaire. Il faut donc développer aussi hors de l’eucharistie des formes réadaptées de vie communautaire en dehors de l’église, complétant l’assemblée cultuelle et rendant possible le sentiment fraternel. La division des activités paroissiales en organisations particulières ne doit pas mettre au second plan l’unité plus vaste de la paroisse. Cette expérience de fraternité est vraiment expérience d’universalité, de dépassement des frontières. De même doit être encouragée la connaissance mutuelle des communautés paroissiales, qui dans leur foi et leur amour édifient ensemble l’unité suprême de la Mère-Eglise, le Corps du Seigneur.
Ayant dit cela, vient la question du rapport des communautés fraternelles avec le dehors ? Ces non-frères, ces gens du dehors existent. Mais attention, nous sommes trop facilement enclins à penser tout de suite selon la perspective des Lumières et non selon celle de saint Paul. Toute séparation nous paraît suspecte, et pourtant la séparation chrétienne favorise en définitive une ouverture universelle. Mais auparavant il faut commencer par séparer, par former une communauté fraternelle concrète, définie, saisissable, rendant réalisable cette totalité qui n’est d’abord qu’une rêverie. Paul parle ainsi d’une attitude à la fois d’ouverture – quand le plein exercice de la charité est réclamé, quand il faut prier pour les hommes, respecter une autorité non-chrétienne, se montrer bienfaiteur pour le monde – et aussi de prise de distance à l’égard de ceux du dehors. Paul considère comme n’étant pas l’affaire du chrétien de juger de l’état moral subjectif de ceux qui sont hors de la communauté (1 Co 5,12-13). Il invite cependant à une prudence dans la relation à leur égard pour ne pas déchoir avec eux. Il s’agit de ne pas s’associer avec eux, ni les choisir pour habituels compagnons de société, au-delà de l’accomplissement de tous les devoirs de charité et devoirs légaux. Quid des baptisés non pratiquants ? Paul parle des pseudoadelphoi, des pseudo-frères, ceux qui n’ont pas l’esprit du Christ et ne lui appartiennent pas. Ce n’est qu’en participant à l’assemblée cultuelle eucharistique qu’on devient au sens propre membre de la communauté fraternelle chrétienne. Si on n’y prend pas part, on ne peut être compté comme membre de la fraternité comme telle. La définition paulinienne de la communauté fraternelle des chrétiens comprend uniquement ceux qui participent régulièrement à la célébration. C’est la seule définition réaliste. Ce n’est qu’à partir d’elle qu’on peut avoir l’espoir fondé de réaliser effectivement une communauté fraternelle consciente. Il ne s’agit pas de ne plus tenir compte des baptisés non pratiquants, qui ont perdu la foi vive et la participation immédiate à la fraternité chrétienne. Il faut seulement se libérer d’une illusion dangereuse, illusion qui nous empêcherait de mesurer exactement les devoirs qu’on a envers ceux dont on devrait être le frère et dont on l’est hélas trop peu. A l’égard des baptisés non pratiquants il faut user de bonté loyale dans l’enseignement et l’exhortation, leur porter infatigablement la lumière du Christ et rompre tout commerce en cas seulement d’extrême nécessité avec exclusion formelle de la communauté. Le but restant toujours l’amendement, le retour complet dans la communauté fraternelle des chrétiens.
"NOTRE PÈRE", QUELLE FRATERNITÉ : L’ÉGLISE, UN FRÈRE POUR LES AUTRES. UNE THÉOLOGIE DE LA SUBSTITUTION 20 mai 2018
Ce petit mot « Notre » nous aura conduits loin dans la réflexion. Il oblige au réalisme d’une fraternité concrète qui cependant pour demeurer authentique doit tendre vers l’universel. Achevons maintenant notre réflexion sur ce terme en tentant de comprendre le sens de l’universalité de l’Église et de la fraternité chrétienne. On pourrait résumer la réflexion qui vient ainsi : "Le véritable universalisme est celui d’une fraternité non ésotérique, non pas contre mais pour le tout au service du tout, un service de la totalité vécu dans la mission, l’agapè et la souffrance."
La fondation de l’Église, œuvre du Christ, établit de fait une dualité dans l’humanité : une Église et une non-Église. Cependant l’œuvre du Christ concerne toute l’humanité et non une partie. Mais ce salut de la totalité s’accomplit dans une opposition en tension entre le petit nombre et la multitude. Le petit nombre est le point d’appui au moyen duquel Dieu veut sauver la multitude. Il faut comprendre toute élection en regard du Christ et de la substitution qu’il réalise. Celui qui est sans péché est élu pour expier le péché du monde, pour être en ce sens l’objet de la réprobation divine, porter le destin de la réprobation qui frappait tous les hommes sans exception. Le seul digne de salut prend sur lui le contraire, toute la perdition. Dans l’élection de Jésus-Christ qui est la volonté divine éternelle, Dieu destine le oui, c’est-à-dire l’élection, la béatitude et la vie à l’homme, et il réserve le non, c’est-à-dire la réprobation, la damnation et la mort à lui-même dans le Christ. En soi Dieu doit réprouver le pécheur et élire le juste. Mais dans le Christ, cet en-soi est retourné, renversé par le paradoxe de la grâce. Saint Paul nous le fait comprendre de manière lumineuse lorsqu’il affirme : « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu.» ( 2 Co 5,21)
Le seul juste, de soi donc le seul digne d’élection, devient le réprouvé prenant sur lui la réprobation de tous, et par suite en lui et par lui, il fait de tous des élus à sa place, tout comme lui-même, en nous et par nous, devient réprouvé. Dieu se réserve la damnation pour nous donner accès à l’élection en laquelle par notre délivrance le Christ en personne est à son tour réintroduit. Ce qui s’accomplit dans le Christ, cet échange, ne se restreint pas à sa personne, mais se reflète dans toute l’histoire du salut. L’élection de l’un, qui est toujours non-élection de l’autre est telle que l’élu est choisi en vue du non-élu dont il doit par substitution porter la non-élection, de sorte qu’il devient lui-même le non-élu et l’autre l’élu. L’histoire des couples de frères ne s’achève toujours que provisoirement à la réprobation de l’un et l’élection de l’autre. La parabole du fils prodigue ou la doctrine de Paul en Rm 9-11 montre le renversement : la réprobation introduit en définitive dans l’élection elle-même, le réprouvé sera finalement élu et cela dans sa réprobation même. Le Christ est le réprouvé et l’élu et tous trouvent en lui leur place, leur nécessité. En lui, on voit qu’il n’y a pas qu’une opposition relative mais qu’avant tout dans leur opposition tous sont frères. De même que l’élection de Jésus-Christ atteint son but et s’accomplit justement dans la substitution qui en fait une réprobation, et de même qu’inversement cette réprobation confirme son élection, de même les élus et les réprouvés ne sont pas situés les uns contre les autres mais les uns auprès des autres, les uns pour les autres. Le mystère de la substitution constitue la base de toute élection. Ce mystère réalisé dans le Christ, se poursuit en un système général de substitution à travers toute l’histoire du salut et est même la loi structurelle de toute cette histoire. A chaque fois ce sera l’échange exemplaire du Christ qui sera répété. Toujours l’élu, appelé par grâce à la connaissance de la foi et de la charité, devra se tenir prêt à être le réprouvé par substitution, par qui l’autre sera en échange associé à l’élection. L’un est là pour l’autre. Dieu a une audacieuse confiance en nous, nous associant à lui dans ce système de substitution.
Ce système de substitution ne peut être soutenu par des individus isolés mais il trouve sa représentation adéquate dans l’opposition entre Église (laos) et non-Église (ou-laos). L’Église est tout entière dépositaire de cette élection par substitution dont la mission suprême est de devenir réprobation par substitution. La tâche de l’Église en cela est dynamique. Il ne peut jamais être question pour les individus de s’isoler en tant qu’élus, ou pour l’Église en tant que communauté élue devant ce qui n’est pas un peuple. L’élection est toujours au fond élection pour les autres. Pour l’Église, l’élection s’identifie à la mission, à la tâche missionnaire. L’Église est toujours « un espace ouvert ». Pour ce qui relève du sentiment fraternel, il faut affirmer ceci : autant il importe pour l’Église de parvenir à l’unité d’une fraternité unique, autant il lui est nécessaire de rester consciente de n’être que l’un des deux fils, un frère près d’un autre frère, et de comprendre que sa tâche ne consiste pas à condamner mais à sauver l’autre frère.
Il faut que l’Église se réunisse de fait en une solide fraternité intérieure pour être réellement un frère. Mais l’Église ne veut pas être un frère pour s’isoler et se séparer de l’autre mais parce que seulement ainsi elle pourra accomplir sa tâche envers l’autre. Exister pour ce frère est le sens le plus profond de son existence, fondée elle-même totalement sur l’existence de substitution de Jésus-Christ.
Ainsi on peut assumer l’existence de deux zones de comportement moral. A l’opposé des Lumières et du stoïcisme, le christianisme affirme d’abord l’existence de deux zones différentes, et n’appelle frères tout court que ceux qui partagent la même foi. Mais en même temps, toute forme d’ésotérisme est étrangère à ce qu’il est. La séparation des uns trouve son sens ultime dans le service accompli en faveur des autres qui restent au fond l’autre frère et dont le destin est remis aux mains du premier. C’est en réalisant la fraternité intérieure que l’Église devenant frère est gagnée par l’élan missionnaire.
Les formes concrètes de ce service sont : l’annonce missionnaire sans galvauder la parole, inlassable mais dans le bon temps et le bon lieu pour ne pas tenter de tromper par une parole affadie qui cherche à éviter d’être incomprise. L’Église doit proclamer au monde la parole de Dieu venue dans le Christ, et rendre dans le monde un témoignage public à l’œuvre publique du salut de Dieu de sorte que tous puissent l’entendre. Il y a aussi l’agapè (quelle grâce si tu aimes seulement ton frère comme les païens ?). Il y a tout d’abord le comportement des chrétiens entre eux qui a une force attirante et exemplaire et est une mission dans l’action, une lumière pour tous au sein d’une génération égarée et pervertie. Il y a aussi l’œuvre d’amour envers ceux qui ne les aiment pas, œuvre gratuite n’exigeant aucun retour, amour accordé à tous ceux qui en ont besoin, car tous ceux qui sont dans ce besoin sont frères du Christ et dans la rencontre s’opère l’épiphanie du Christ. Il y a enfin l’œuvre de la souffrance du chrétien par rapport aux infidèles, souffrance à la suite du maître pour eux et à cause d’eux. La parole du maître « le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » vaut aussi pour les disciples. Elle est la loi fondamentale de leur vie. Cette œuvre de souffrance est l’œuvre principale du Christ. Comme le dit en effet saint Paul en Ep 2, 13-18 : « Mais maintenant, dans le Christ Jésus, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang du Christ. C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité ; par sa chair crucifiée, il a détruit ce qui les séparait, le mur de la haine ; il a supprimé les prescriptions juridiques de la loi de Moïse. Ainsi, à partir des deux, le Juif et le païen, il a voulu créer en lui un seul Homme nouveau en faisant la paix, et réconcilier avec Dieu les uns et les autres en un seul corps par le moyen de la croix ; en sa personne, il a tué la haine. Il est venu annoncer la bonne nouvelle de la paix, la paix pour vous qui étiez loin, la paix pour ceux qui étaient proches. Par lui, en effet, les uns et les autres, nous avons, dans un seul Esprit, accès auprès du Père. » Par le sang du Christ, par sa chair crucifiée par le moyen de sa croix, il nous a réconciliés les uns avec les autres et avec le Père. Aucune œuvre ne pourra être du Christ sans passer par cela. Et ainsi, les disciples resteront toujours le petit nombre, opposé comme tel à la multitude, au grand nombre, de même que Jésus l’unique s’oppose au grand nombre de toute l’humanité. La voie est étroite, les ouvriers sont peu nombreux, de même que les élus. C’est le devoir du disciple d’être comme le Christ pour beaucoup, non pas contre mais pour beaucoup. Quand toutes les autres issues sont bouchées, il reste la voie royale de la souffrance par substitution aux côtés du Seigneur. Quand l’Église succombe, elle célèbre sa victoire d’être proche du Seigneur. Quand elle est appelée à souffrir, s’accomplit parfaitement sa mission la plus profonde : se substituer au frère égaré, et ainsi le réintégrer secrètement dans la plénitude de la filiation et de la fraternité. Dans la relation entre le petit nombre et la multitude se manifeste la vraie dimension de la catholicité. Numériquement, elle ne sera jamais pleinement catholique, c’est-à-dire universelle, elle restera toujours un petit troupeau – avec peut-être en son sein de nombreux faux-frères. Mais dans sa souffrance et dans son amour, elle ne cesse d’exister pour la multitude, pour tous. Dans son amour et sa souffrance, elle franchit toutes les frontières, et est vraiment catholique.
Ce petit mot « Notre » nous aura conduits loin dans la réflexion. Il oblige au réalisme d’une fraternité concrète qui cependant pour demeurer authentique doit tendre vers l’universel. Achevons maintenant notre réflexion sur ce terme en tentant de comprendre le sens de l’universalité de l’Église et de la fraternité chrétienne. On pourrait résumer la réflexion qui vient ainsi : "Le véritable universalisme est celui d’une fraternité non ésotérique, non pas contre mais pour le tout au service du tout, un service de la totalité vécu dans la mission, l’agapè et la souffrance."
La fondation de l’Église, œuvre du Christ, établit de fait une dualité dans l’humanité : une Église et une non-Église. Cependant l’œuvre du Christ concerne toute l’humanité et non une partie. Mais ce salut de la totalité s’accomplit dans une opposition en tension entre le petit nombre et la multitude. Le petit nombre est le point d’appui au moyen duquel Dieu veut sauver la multitude. Il faut comprendre toute élection en regard du Christ et de la substitution qu’il réalise. Celui qui est sans péché est élu pour expier le péché du monde, pour être en ce sens l’objet de la réprobation divine, porter le destin de la réprobation qui frappait tous les hommes sans exception. Le seul digne de salut prend sur lui le contraire, toute la perdition. Dans l’élection de Jésus-Christ qui est la volonté divine éternelle, Dieu destine le oui, c’est-à-dire l’élection, la béatitude et la vie à l’homme, et il réserve le non, c’est-à-dire la réprobation, la damnation et la mort à lui-même dans le Christ. En soi Dieu doit réprouver le pécheur et élire le juste. Mais dans le Christ, cet en-soi est retourné, renversé par le paradoxe de la grâce. Saint Paul nous le fait comprendre de manière lumineuse lorsqu’il affirme : « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu.» ( 2 Co 5,21)
Le seul juste, de soi donc le seul digne d’élection, devient le réprouvé prenant sur lui la réprobation de tous, et par suite en lui et par lui, il fait de tous des élus à sa place, tout comme lui-même, en nous et par nous, devient réprouvé. Dieu se réserve la damnation pour nous donner accès à l’élection en laquelle par notre délivrance le Christ en personne est à son tour réintroduit. Ce qui s’accomplit dans le Christ, cet échange, ne se restreint pas à sa personne, mais se reflète dans toute l’histoire du salut. L’élection de l’un, qui est toujours non-élection de l’autre est telle que l’élu est choisi en vue du non-élu dont il doit par substitution porter la non-élection, de sorte qu’il devient lui-même le non-élu et l’autre l’élu. L’histoire des couples de frères ne s’achève toujours que provisoirement à la réprobation de l’un et l’élection de l’autre. La parabole du fils prodigue ou la doctrine de Paul en Rm 9-11 montre le renversement : la réprobation introduit en définitive dans l’élection elle-même, le réprouvé sera finalement élu et cela dans sa réprobation même. Le Christ est le réprouvé et l’élu et tous trouvent en lui leur place, leur nécessité. En lui, on voit qu’il n’y a pas qu’une opposition relative mais qu’avant tout dans leur opposition tous sont frères. De même que l’élection de Jésus-Christ atteint son but et s’accomplit justement dans la substitution qui en fait une réprobation, et de même qu’inversement cette réprobation confirme son élection, de même les élus et les réprouvés ne sont pas situés les uns contre les autres mais les uns auprès des autres, les uns pour les autres. Le mystère de la substitution constitue la base de toute élection. Ce mystère réalisé dans le Christ, se poursuit en un système général de substitution à travers toute l’histoire du salut et est même la loi structurelle de toute cette histoire. A chaque fois ce sera l’échange exemplaire du Christ qui sera répété. Toujours l’élu, appelé par grâce à la connaissance de la foi et de la charité, devra se tenir prêt à être le réprouvé par substitution, par qui l’autre sera en échange associé à l’élection. L’un est là pour l’autre. Dieu a une audacieuse confiance en nous, nous associant à lui dans ce système de substitution.
Ce système de substitution ne peut être soutenu par des individus isolés mais il trouve sa représentation adéquate dans l’opposition entre Église (laos) et non-Église (ou-laos). L’Église est tout entière dépositaire de cette élection par substitution dont la mission suprême est de devenir réprobation par substitution. La tâche de l’Église en cela est dynamique. Il ne peut jamais être question pour les individus de s’isoler en tant qu’élus, ou pour l’Église en tant que communauté élue devant ce qui n’est pas un peuple. L’élection est toujours au fond élection pour les autres. Pour l’Église, l’élection s’identifie à la mission, à la tâche missionnaire. L’Église est toujours « un espace ouvert ». Pour ce qui relève du sentiment fraternel, il faut affirmer ceci : autant il importe pour l’Église de parvenir à l’unité d’une fraternité unique, autant il lui est nécessaire de rester consciente de n’être que l’un des deux fils, un frère près d’un autre frère, et de comprendre que sa tâche ne consiste pas à condamner mais à sauver l’autre frère.
Il faut que l’Église se réunisse de fait en une solide fraternité intérieure pour être réellement un frère. Mais l’Église ne veut pas être un frère pour s’isoler et se séparer de l’autre mais parce que seulement ainsi elle pourra accomplir sa tâche envers l’autre. Exister pour ce frère est le sens le plus profond de son existence, fondée elle-même totalement sur l’existence de substitution de Jésus-Christ.
Ainsi on peut assumer l’existence de deux zones de comportement moral. A l’opposé des Lumières et du stoïcisme, le christianisme affirme d’abord l’existence de deux zones différentes, et n’appelle frères tout court que ceux qui partagent la même foi. Mais en même temps, toute forme d’ésotérisme est étrangère à ce qu’il est. La séparation des uns trouve son sens ultime dans le service accompli en faveur des autres qui restent au fond l’autre frère et dont le destin est remis aux mains du premier. C’est en réalisant la fraternité intérieure que l’Église devenant frère est gagnée par l’élan missionnaire.
Les formes concrètes de ce service sont : l’annonce missionnaire sans galvauder la parole, inlassable mais dans le bon temps et le bon lieu pour ne pas tenter de tromper par une parole affadie qui cherche à éviter d’être incomprise. L’Église doit proclamer au monde la parole de Dieu venue dans le Christ, et rendre dans le monde un témoignage public à l’œuvre publique du salut de Dieu de sorte que tous puissent l’entendre. Il y a aussi l’agapè (quelle grâce si tu aimes seulement ton frère comme les païens ?). Il y a tout d’abord le comportement des chrétiens entre eux qui a une force attirante et exemplaire et est une mission dans l’action, une lumière pour tous au sein d’une génération égarée et pervertie. Il y a aussi l’œuvre d’amour envers ceux qui ne les aiment pas, œuvre gratuite n’exigeant aucun retour, amour accordé à tous ceux qui en ont besoin, car tous ceux qui sont dans ce besoin sont frères du Christ et dans la rencontre s’opère l’épiphanie du Christ. Il y a enfin l’œuvre de la souffrance du chrétien par rapport aux infidèles, souffrance à la suite du maître pour eux et à cause d’eux. La parole du maître « le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » vaut aussi pour les disciples. Elle est la loi fondamentale de leur vie. Cette œuvre de souffrance est l’œuvre principale du Christ. Comme le dit en effet saint Paul en Ep 2, 13-18 : « Mais maintenant, dans le Christ Jésus, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang du Christ. C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité ; par sa chair crucifiée, il a détruit ce qui les séparait, le mur de la haine ; il a supprimé les prescriptions juridiques de la loi de Moïse. Ainsi, à partir des deux, le Juif et le païen, il a voulu créer en lui un seul Homme nouveau en faisant la paix, et réconcilier avec Dieu les uns et les autres en un seul corps par le moyen de la croix ; en sa personne, il a tué la haine. Il est venu annoncer la bonne nouvelle de la paix, la paix pour vous qui étiez loin, la paix pour ceux qui étaient proches. Par lui, en effet, les uns et les autres, nous avons, dans un seul Esprit, accès auprès du Père. » Par le sang du Christ, par sa chair crucifiée par le moyen de sa croix, il nous a réconciliés les uns avec les autres et avec le Père. Aucune œuvre ne pourra être du Christ sans passer par cela. Et ainsi, les disciples resteront toujours le petit nombre, opposé comme tel à la multitude, au grand nombre, de même que Jésus l’unique s’oppose au grand nombre de toute l’humanité. La voie est étroite, les ouvriers sont peu nombreux, de même que les élus. C’est le devoir du disciple d’être comme le Christ pour beaucoup, non pas contre mais pour beaucoup. Quand toutes les autres issues sont bouchées, il reste la voie royale de la souffrance par substitution aux côtés du Seigneur. Quand l’Église succombe, elle célèbre sa victoire d’être proche du Seigneur. Quand elle est appelée à souffrir, s’accomplit parfaitement sa mission la plus profonde : se substituer au frère égaré, et ainsi le réintégrer secrètement dans la plénitude de la filiation et de la fraternité. Dans la relation entre le petit nombre et la multitude se manifeste la vraie dimension de la catholicité. Numériquement, elle ne sera jamais pleinement catholique, c’est-à-dire universelle, elle restera toujours un petit troupeau – avec peut-être en son sein de nombreux faux-frères. Mais dans sa souffrance et dans son amour, elle ne cesse d’exister pour la multitude, pour tous. Dans son amour et sa souffrance, elle franchit toutes les frontières, et est vraiment catholique.